Contribution au séminaire ADELS/UNADEL

par Fabien LESTRADE

Le « développement local » est depuis de nombreuses années utilisé pour décrire toutes sortes de dynamiques ou de procédures mises en œuvre sur des territoires ruraux et urbains. Le « développement local » est managé par un « agent de développement local », chargé de mettre en œuvre la stratégie et la « charte de développement local », permettant d’accéder au « contrat de développement local » et de sa cohorte de financements publics.

Beaucoup d’énergie en temps, en rencontre, en discussion, en négociation, pour susciter des envies et des espoirs, parfois des réalisations plus ou moins heureuses. Mais parle-t-on de la même chose ? Toutes les démarches sont-elles similaires ? Peut-on stéréotyper les causes et les effets engendrés ?

On pense en image, on s’exprime en mots. Les quelques lignes ci après ont pour ambition de nommer ma propre image du développement local.

De la plus-value du développement

Tout d’abord la notion de « développement » impose une plus-value de l’état de départ par rapport à l’état d’arrivée. Cette dernière peut être calculée en accroissement des richesses locales (individuelles ou collectives) mais aussi, ce qui est moins quantifiable, en terme de bien-être, d’amélioration de la qualité de la vie des habitants. Il s’agit là d’un enjeu pour la pérennité des dynamiques de développement mises en œuvre sur les différents territoires.

Les réductions des financements publics tant au niveau de l’Etat que des collectivités locales, imposent aux dirigeants de ces structures de faire des choix. Il est donc important de donner du sens aux actions mises en oeuvre, et de pouvoir les évaluer et les quantifier. Sans cela, on prend le risque de privilégier les actions quantifiables par rapport aux actions qualifiables.

L’exemple de la mobilisation citoyenne est un exemple concret. Comment mesurer la plus-value apportée par les bénévoles dans la conception d’une action publique ? Comment mesurer les retombées d’une semaine de formation aux techniques vocales à destination des habitants d’un petit village aboutissant à une création artistique ?

L’évaluation de la plus-value doit être une préoccupation dès la conception de l’action. Sinon, elle ne sert qu’à justifier l’action suivante sans vérifier l’apport réel pour le territoire concerné. Le gaspillage est l’apanage des riches. Les collectivités ne le sont que très rarement.

Le territoire des uns est il le local des autres ?

Les territoires organisés se multiplient : aux communes et leurs intercommunalités, aux pays, départements et régions, on ajoute des zonages d’intervention de tel ou tel service public ou para public (Education nationale, URSSAF, ANPE, ASSEDIC, La Poste, …) que l’on croise avec des territoires de santé ou des zones de revitalisation rurale… Il devient difficile d’y voir clair.

De plus, chacun de nous a une notion différente de son territoire : le bassin de vie de l’habitant n’est pas le même pour l’entreprise dans laquelle il travaille. Le découpage administratif de la France n’est plus forcément pertinent. L’utilisation généralisée de la voiture et les facilités de déplacements ont considérablement agrandis notre perception de notre bassin de vie.

Que chacun voit midi à sa porte n’est pas en soit un problème. Sauf que chaque échelon administratif a des compétences, des pouvoirs et des devoirs. Malgré les essais de clarification concernant la décentralisation, force est de constater que tout le monde fait tout, et qu’il devient ardu de définir les responsabilités respectives en cas de mauvais fonctionnement d’un service ou d’une action.

Par ailleurs, on assiste en ce moment à une pression forte de la part des penseurs de l’aménagement du territoire pour inciter les regroupements (fusions) des structures intercommunales entre elles. L’idée est que ces structures de gestion doivent pouvoir faire des économies d’échelle si elles sont de taille suffisante. Les Français sont très attachés à la notion de commune. Les tentatives de suppression de cet échelon se sont toutes soldées par un échec. Le transfert des principales compétences des communes aux communautés de communes ayant été fait, il est logique de pousser à leur fusion. Il est probable que dans un certain nombre de cas cela sera bénéfique pour les habitants (réductions des coûts de fonctionnement, péréquation des recettes fiscales, …). Mais le territoire reste t il local ? Une intercommunalité de 5 ou 6 cantons permet elle une proximité géographique ?

La définition du local n’est donc pas la même que celle du territoire. Le local est subjectif alors que le territorial est objectif. On pourrait même considérer que le local est individuel et le territorial collectif. Certains considèrent le territoire comme un espace habité. La présence des habitants ne me semble pas suffire à qualifier un territoire. En effet, si on considère des territoires de santé par exemple, on se rend bien compte que ce n’est pas la présence des habitants qui a justifié ses limites mais bien l’organisation des services de soins. Une autre définition, qui de mon point de vue est complémentaire à la première, est un espace gouverné, c’est-à-dire ayant des modalités de gouvernance organisée qui lui son propre.

Gouvernance territoriale : entre démocratie participative et gestion administrative

Selon Pierre Bourdieu, dans Les structures sociales de l’économie : « gouvernance » est un de ces nombreux néologismes, qui, produits par des think tanks et autres cercles technocratiques et véhiculés par les journalistes et les intellectuels « branchés », contribuent à la « mondialisation » du langage et des cerveaux.

La gouvernance s’est, d’après le dictionnaire Larousse, « la manière de gérer, administrer ». Il est regrettable que ce mot ai été approprié par une catégorie de
personnes qui souhaitent mettre en œuvre un contre pouvoir face aux modalités actuelles d’administration des territoires, créant ainsi un amalgame entre les deux notions. L’administration territoriale est l’organisation institutionnelle et administrative d’une zone géographique, alors que la gouvernance est le processus de réflexion, de concertation, de négociation et de décision des actions collectives.

Il me semble que la gouvernance peut autant s’appuyer sur des processus de décision érigé dans le cadre d’une démocratie représentative aussi bien que dans un cadre de démocratie participative. Les deux notions peuvent et doivent cohabiter. La démocratie participative est le fait de donner la possibilité à ceux qui le souhaitent de participer à l’élaboration (réflexion et concertation) d’un projet collectif. Il appartient à ceux qui sont élus d’en décider la mise en œuvre, dans un cadre règlementaire et financier dont ils n’ont pas toujours la maîtrise.

De l’autonomie territoriale

« En dessous de 80% de subvention, on ne part pas ! » et voilà un plan de financement rondement mené. Les collectivités françaises ont l’habitude de pratiquer le financement croisé de leurs actions. Chaque élaboration de plan de financement est l’occasion de tractation, voir de mendicité entre les collectivités ayant ou non la compétence requise. On a tous en tête le montage financier d’un bâtiment relais ou d’une salle culturelle faisant appel aux fonds européens, aux dotations et subventions de l’Etat, du Département et de la Région, avec parfois une touche de fonds de concours de la part de la commune intéressée. Quelle crédibilité devant le contribuable ?

Se pose néanmoins le problème de la péréquation des recettes des collectivités. Le système actuel d’impôts locaux ne permet pas une équité entre les territoires, et la péréquation de l’Etat ne fonctionne bien que lorsque l’Etat est riche. Hier, une commune au cœur du massif du Forez n’avait pas les moyens financiers de se développer seule, aujourd’hui se pose la question de ses capacités financières à assumer les charges courantes dont elle a la responsabilité. Le système de répartition des impôts fait que les communes riches ont de plus en plus de moyens, celles qui sont pauvres ont de plus en plus de difficultés. Sans une réforme en profondeur de la fiscalité locale, l’équité entre les habitants du territoire français ne pourra pas être réel.

Un autre effet de la dépendance territoriale est la capacité dont dispose un financeur à orienter les actions du territoire qu’il finance, même si la loi affirme que les territoires sont autonomes dans leur administration. Les contrats de Pays en sont une bonne illustration. En Bourgogne, une part de l’enveloppe doit être affectée à des actions relevant des priorités régionales, l’autre pouvant être affecté à des actions d’intérêt local. Si on veut bénéficier de l’enveloppe, on doit traiter les sujets prioritaires pour la Région. Ce type d’obligation n’est pas forcément négatif. En effet, nombreuses dynamiques territoriales ont été suscitées par des procédures telles que les contrats de Pays ou les programmes LEADER par exemple. Ainsi donc, dans certains cas, c’est la procédure qui déclenche la dynamique de développement territorial.

Le développement territorial raisonné

Imposées ou volontaires, les dynamiques de développement territorial se multiplient. Les modalités de construction et de mise en œuvre sont variées. Elles sont généralement issues d’un processus de consultation et/ou d’association de la population à la définition d’un projet de territoire à moyen ou long terme. Chaque action est raisonnée dans un système transversal d’actions contribuant toutes à une même finalité.

Une évaluation permet de vérifier la plus-value apportée par ces actions, les procédures sont enchaînées les unes après les autres, généralement managées par un agent de développement.

C’est l’espace (le territoire géographique et politique) qui conditionne l’action.

Le développement local

Une dynamique de développement local me semble être une étape possible du développement territorial. Je pense que dans le cas du développement local, ce sont les Hommes qui conditionnent l’action. Dans une situation de crise, de malaise, une communauté d’Homme s’associe, se rencontre, réfléchisse collectivement pour trouver une ou plusieurs solutions à leur problème commun. Ils la mettent souvent en œuvre de façon autonome, sans se plier aux exigences des partenaires financiers potentiels. Cela a été le cas de la vallée de la Soule au Pays Basque lorsque il y a une trentaine d’années, l’entreprise d’abattage et de transformation des moutons quitte la vallée, mettant en péril la communauté paysanne. Les agriculteurs se sont mobilisés et ont mis en œuvre des solutions collectives adaptées à leur besoin. Les élus se sont emparés de cette dynamique. Les acteurs de ce mouvement citoyens ont été associés aux processus de réflexion suivant. Certains ont été à leur tour élus. Le territoire est entré dans une dynamique de développement raisonné.

La dynamique de développement local est donc une dynamique éphémère ou pour le moins cyclique. Elle se nourrit de la mobilisation d’un groupe d’individus ayant une problématique commune et une volonté ou nécessité de la résoudre collectivement. Elle se traduit par la mise en œuvre des solutions sans forcément l’appui de financement et de conseils extérieurs.

Agent de développement … territorial

Ainsi, la présence d’un agent de développement local n’est pas une condition pour la mise en œuvre d’une dynamique de développement local. Loin s’en faut !

Il me semble que l’appellation « agent de développement local » doit impérativement être remplacée par « agent de développement territorial ». La fonctionnarisation du métier est un argument fort en faveur de ce changement. Le rôle des agents de développement est le plus souvent de gérer une procédure décidée ou imposée au territoire pour lequel il travaille. Il a parfois un rôle de négociateur ou de médiateur car il a la capacité à mettre autour d’une table les protagonistes d’un projet favorisant la construction collective.

Il a aussi le devoir de créer les conditions favorables pour que les hommes et les femmes puissent construire collectivement les solutions à leur difficulté. Il est alors formateur.

Des hommes et des femmes à éduquer

La dynamique de développement local est en effet plus aisée lorsque des habitudes de partage et de travail collectif existent. Toutes les actions qui concourent à créer du lien entre les habitants d’un même espace géographique sont donc favorables au déclenchement de cette dynamique. Certaines actions d’éducation populaire sont, me semble t il, adaptées à cela.

Il revient à l’agent de développement de justifier la plus value apportée par ce type d’actions pour qu’elles perdurent dans le temps. Et ce n’est pas le plus facile ! (voir point 1).

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