Philippe Méjean, universitaire de l’Institut d’Aménagement Régional d’Aix-Marseille se livre à une critique sévère de cette loi dans le numéro 106 de la revue “Etudes foncières”. De quoi faire naître un débat !

Effet de saturation pour des parlementaires en fin de session à rallonges, ou, pour eux comme pour tous, signal de l’entrée dans la trêve estivale, le fait est que la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, dite loi Borloo, promulguée le premier août 2003, n’a eu ni le débat politique ni la couverture médiatique qu’aurait méritée cette nouvelle “ bataille de France ”, comme le ministre se plait à désigner le chantier ainsi ouvert.

Cette relative indifférence tient  pour beaucoup à deux autres facteurs.

Celui, malheureusement trop classique, du travers gouvernemental qui mêle dans le même projet de loi des dispositions un peu épineuses ou à la parenté discutable, ce qui est une technique d’entraînement de l’une par l’autre : en l’occurrence celle relative au financement pluriannuel de la rénovation urbaine, difficile à caler, par celle relative aux zones franches urbaines, très prisée par les responsables de la nouvelle majorité[1], et toutes les deux par la troisième, qui crée une “ procédure de rétablissement personnel ” pour les ménages surendettés et qui ne pouvait que faire l’unanimité; ajoutons à cela un certain nombre de mesures utiles, mais surtout techniques, intéressant la sécurité des immeubles collectifs, les copropriétés en difficulté et le logement social, et la lisibilité de l’ensemble s’en trouve inévitablement brouillée.

Celui, plus dommageable pour le fond du débat, qui tient à cette politique dite “ de la ville ”, volontiers trop bavarde, et qui à force de balancer dans ses objectifs et dans ses méthodes d’une majorité électorale à l’autre, a perdu en route la claire conscience de ses alternatives proprement … politiques : que veut-on et que peut-on faire, dans un pays riche et majoritairement urbain, de ces territoires toujours plus nombreux de la pauvreté et de la relégation que sont les “ grands ensembles ” et les “ quartiers d’habitat dégradé ”, comme les désignent les lois ?

Cette situation est regrettable car, à y regarder de près, la loi Borloo, dernière en date, opère un virage significatif par rapport à la période précédente de 1997 à 2002, et le nouveau “ Programme national de rénovation urbaine ” pourrait bien constituer une vraie mise à l’épreuve tant pour le statut que pour les objectifs et les modes opératoires de la politique de la ville.

 

Politique de la ville, chronique d’une mort annoncée

 

Après bien des épisodes et des hésitations qui ont marqué son histoire depuis que l’intitulé est formellement apparu en 1988, la politique de la ville était engagée depuis le retour de la gauche au pouvoir, au bénéfice de la dissolution de 1997, dans ce que l’on pourrait appeler un processus tendanciel de reprise en charge par le droit commun, signant ainsi une mort lente mais librement consentie. Non que le scénario en était aussi clairement écrit par le gouvernement Jospin, mais parce que le chantier polymorphe de redéfinition des politiques territoriales progressivement engagé devait y mener inéluctablement.

Cela avait commencé avec les décisions du Comité Interministériel des Villes du 30 juin 1998 qui assignaient à la politique de la ville l’objectif d’une réponse globale et territorialisée, intégrant dans chaque agglomération toutes les politiques concourant au développement solidaire et à la mixité sociale et urbaine, et avec la définition donnée par la circulaire du Premier ministre “ Contrats de ville 2000-2006 ” de décembre 1998, qui précisait avec force que “ …la politique de la ville n’est pas une politique sectorielle de plus, mais une dimension de toutes les politiques publiques ”.

Cela avait ensuite continué avec les trois grandes lois traitant de la question territoriale de 1999 et 2000 :

         la loi d’orientation sur l’aménagement et le développement durable du territoire qui donnait enfin toute sa place au fait urbain dans l’aménagement du territoire et qui promouvait des projets globaux d’agglomération, débouchant sur des contrats d’agglomération intégrant progressivement les contrats de ville

         la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale   dont une des principales innovations résidait dans l’exercice obligée de la compétence “ politique de la ville ”, ainsi que de celle liée à “ l’équilibre social de l’habitat ”, par les communautés urbaines et par les nouvelles communautés d’agglomération

         la loi Solidarité et renouvellement urbain qui mettait au cœur des nouveaux SCOT et PLU la question de la mixité sociale et fonctionnelle, et qui, dans son fameux article 55, obligeait à une meilleure solidarité intercommunale en matière de logements sociaux.

Ainsi consacrée parce que dûment requise par ces différents textes fondateurs, la politique de la ville s’en trouvait aussi banalisée, comme fondue dans le droit commun d’une action territoriale clairement décentralisée. Après bien des errements, et passablement d’épuisement dans les rangs de ses professionnels, elle pouvait s’effacer, en sortant, pourrait-on dire, par le “ haut ”, après avoir contribué à faire reconnaître la ville comme une véritable question de société, et avoir placé l’enjeu de la cohésion territoriale au centre des stratégies urbaines de demain. Le vœu un peu provocateur, exprimé par certains, d’ “ en finir avec la politique de la ville ” s’en trouvait exaucé, du moins sur le principe[2].

Dans les faits les choses ne pouvaient pas être si simples, et, face au défi des quartiers les plus obsolètes du point de vue de leur urbanisme et de leur architecture, et donc les plus résistants à l’entreprise de requalification, C. Bartolone, en charge du dossier, avait lancé un “ programme national de renouvellement urbain ” fait d’une cinquantaine de “ Grands Projets de Ville ” et d’une soixante d’ “ Opérations de Renouvellement Urbain ” ; non sans ambiguité puisque la définition qui en était donnée était pratiquement celle des …contrats de ville, eux au nombre de 247 ! De même le gouvernement Jospin, tiraillé entre ses options “ philosophiques ” et le constat d’une certaine efficacité, avait longuement hésité concernant le dispositif des “ Zones franches Urbaines ”, et en avait prévu une sortie finalement prudente. Mais le ministre de la ville, instruit par trois ans d’expérience, déclarait que son passage au ministère avait permis d’ “ en finir avec la logique des quartiers pour passer à celle de la ville ”, et qu’il était acquis au principe, pour l’avenir, d’un grand “ ministère des territoires solidaires ”, regroupant l’aménagement du territoire, le logement et la ville, ce qui était une façon de renoncer au traitement spécifique de cette dernière[3].

 

Un scénario bousculé par la loi Borloo

 

Rien de comparable avec les options du gouvernement Raffarin. Symptomatiquement le ministre qui y est en charge de la ville, se retrouve dans la même posture inconfortable d’un ministre “ sectoriel ”, délégué auprès d’un grand ministre du Travail, de l’emploi et de la solidarité. Et la loi adoptée au mois d’août remet en question, presque terme à terme, le schéma dessiné par le précédent gouvernement.

S’agissant d’abord des objectifs : on peut dire qu’ils ne sont plus ceux du développement des quartiers en difficulté, avec ce que cela peut supposer de repositionnement dans l’ “ offre urbaine ”, y compris par changement de vocation, mais ceux de leur “ réparation ” et de la réduction de leur écart au restant de la ville, par référence à un certain nombre d’objectifs nationaux, curieusement relégués en annexe du texte, et assortis d’un système sophistiqué d’indicateurs, dont les résultats seront exploités au niveau central.

Concernant ensuite la géographie d’application : elle redevient celle, à de rares exceptions près, du “ numerus clausus ” des 751 “ Zones Urbaines Sensibles ”, et elle est elle-même  précisée par une autre géographie “ spécialisée ”, celle des ZFU, dont le nombre total, avec les quarante et une nouvelles zones, est porté à 85. Toutes les deux étant décidées par Paris tandis que la géographie des contrats de ville s’était dessinée “ par le bas ”, résultant des négociations locales entre les maires et les préfets.

Il s’agit donc bien d’un retour aux quartiers, qui équivaut en l’espèce à un quasi enfermement: le traitement sera strictement local, de type endogène, et l’échelle de l’agglomération semble n’apparaître qu’à regret : quand une référence de principe est faite au PLH, et quand on admet en annexe que la production des nouveaux logements sociaux se fait dans “ …les ZUS ou dans les agglomérations dont elles font partie ”, ou quand on fait rapidement état du développement des transports publics, dont l’amélioration n’est significativement assortie d’aucun indicateur (annexe 7.1.2.).

C’est bien dans à l’intérieur de la ZUS que la diversification de l’offre d’habitat devra se constituer par la réalisation de “ logements locatifs à loyers intermédiaires ” et par des “ logements destinés à l’accession à la propriété ” (annexe 3.1.).

Concernant enfin le mode opératoire : il paraît se dessiner à deux vitesses. La grande vitesse est celle à n’en pas douter des ZFU, qui reposent sur le principe de la dérogation au droit commun de la fiscalité locale et des charges sociales des employeurs, et celle, moins claire, des opérations, en nombre forcément compté, qui seront éligibles aux financements de l’  “ Agence nationale de la rénovation urbaine ” (ANRU). Sur les premières rien ne vient garantir que l’action de développement économique se fera dans le cadre d’un projet urbain plus ambitieux, alors que l’on sait que c’est une des limites du dispositif mis en place par le Pacte de relance de 1996. Sur les secondes l’intervention est strictement physique (démolition, reconstruction et restructuration), et aucune exigence de projet de développement social n’est véritablement posée (alors que l’on sait que bien des actuels GPV butent sur cette difficulté) ; à l’exception cependant d’une “ charte d’insertion ” visant les habitants des ZUS, que l’Agence nationale devra élaborer dans les neuf mois de sa création.

La petite vitesse est celle de la ZUS “ lambda ” pour laquelle est prévu un “ programme d’actions ” à cinq ans, qui lui repose de façon intéressante sur la mobilisation des différentes politiques publiques (éducation, santé, emploi et développement économique, habitat et environnement, sécurité et tranquillité publique, services publics), mais qui le fait en quelque sorte dans le désordre, sectoriellement, puisqu’ aucune mention n’est faite d’un quelconque “ projet de territoire ” qui leur donne du sens et les mette en cohérence, ce qui constitue le “ b a ba ” du développement social urbain[4]. Il faut également relever que deux enjeux significatifs sont absents de la liste des objectifs nationaux à dupliquer localement : celui de l’action  culturelle, pourtant crucial dans des territoires caractérisés par de nombreuses “ cultures d’origine ” en mal de reconnaissance, et celui, lié, de l’intégration des ménages d’origine étrangère (qui n’apparaissent qu’incidemment dans l’annexe 4.1.1. qui traite de la “ démographie médicale ”).

Si l’énoncé d’objectifs nationaux relatifs à la réduction d’écart n’est pas inutile, elle ne saurait localement tenir lieu d’un projet qui lui ne peut être qu’irréductible à la situation, par ailleurs très variée, des quartiers concernés, et de leur place dans l’offre urbaine de l’agglomération. Et si projet il y a, forcément original et donc incomparable avec d’autres, on voit mal comment l’ “ Observatoire national des ZUS ” pourra, par addition et croisement des résultats locaux, prendre la mesure nationale d’une  réduction qui revêtira des significations multiples, par définition non agrégeables. Il faudrait d’ailleurs, et de façon systématique, s’interroger avec soin sur la pertinence du choix des différents indicateurs sectoriels, dont certains pourraient bien ne pas convaincre les experts des disciplines concernées.  

Qui plus est, et ceci tient de la lapalissade, ni des objectifs, ni des indicateurs ne peuvent tenir lieu de moyens, et la loi sur le sujet est muette : et pour cause, puisque les dits moyens sont jusqu’à nouvel ordre dans les contrats de ville, et que la loi, on y reviendra, les ignore souverainement ; et ce tandis que les  moyens en question évoluent plutôt à la baisse du point de vue des professionnels de la politique de la ville.

Pour être complet, il faut ajouter que l’objectif – mais pas l’obligation – est de développer des “ conventions urbaines de proximité ” pour toutes les ZUS de plus de cinq cent logements, mais qu’ici rien n’est dit non plus des moyens afférents.

 

Avec son objectif de réduction des écarts à la norme, sa géographie de numerus clausus administrée de Paris et son registre de l’exception fiscale, le nouvel épisode inauguré par la loi Borloo fait immanquablement penser à celui ouvert par le gouvernement Juppé en 1996. L’histoire se répète jusque dans la remise en cause problématique des dispositifs déjà en place.

En 1992 le gouvernement Bérégovoy avait mis sur orbite les contrats de ville de la période 1994-1998, et la droite arrivée au pouvoir en 1993, après bien des hésitations – cohabitation oblige -, en avait maintenu le principe. Signés et fournissant donc le cadre de la politique de la ville pour les cinq ans des contrats de plan Etat-régions, ces contrats se sont trouvés redoublés et d’une certaine manière contredits en cours de route par le Pacte de relance de 1996 qui, dans la continuité de la loi Pasqua de 1995, a introduit, par le moyen des différents zonages (ZUS, ZRU et ZFU), le principe de la discrimination territoriale positive. Même scénario avec les contrats de ville “ relookés ”[5], lancés par le gouvernement Jospin pour la période 2000-2006 qui, à mi parcours et sans qu’il y en ait eu la moindre évaluation,  se trouvent d’une certaine manière invalidés par la loi Borloo qui n’y fait pas la moindre référence.

 N’en déplaise à certains observateurs et à certains responsables politiques, pour lesquels la politique de la ville ferait dorénavant consensus, il y a bien deux modèles d’action, l’un d’inspiration libérale et l’autre d’inspiration progressiste qui se contredisent, et, pour des motifs de calendrier, se superposent de façon problématique. Sur fond de cette histoire on peut considérer que le triptyque législatif de 1999-2000, quant à lui, proposait d’une certaine manière de sortir de ce jeu de balancier, évidemment préjudiciable à la lisibilité et à l’efficacité de l’action, en intégrant les objectifs de la politique de la ville dans le droit commun de la gestion des territoires. En quelque sorte un troisième modèle que l’on pourrait qualifier de “ moderniste”.

On pourrait en rester là, chacun choisissant son modèle en fonction de ses options idéologiques, et attendant qu’il prévale au gré de l’alternance politique. Mais, hormis le fait essentiel que les conditions de vie de millions de français n’en finissent pas de se dégrader dans des quartiers qui décrochent durablement de la République, et que cela interdit toute sérénité, et encore moins tout cynisme, il y a dans la loi Borloo un certain nombre d’options majeures qui appellent un vrai débat, parce qu’elles risquent de générer une grande confusion et passablement d’écueils. Elles sont relatives d’abord à la place de la politique de la ville dans le complexe des politiques publiques, ensuite aux règles du jeu dorénavant proposées, et enfin au choix historique de la démolition massive.

 

Une politique de la ville menacée d’autisme

 

Comme enfermée dans sa propre logique, la loi Borloo ignore tout à la fois les cadres déjà construits de la politique de la ville, et les dispositions législatives en place.

On l’a déjà indiqué, aucune référence n’y est faite aux contrats de ville, pourtant signés par les représentants de l’Etat, mais auxquels ont aussi adhéré, outre les conseils régionaux partenaires des contrats de plan, un grand nombre de conseils généraux et de délégations régionales du FASILD, ainsi que certains organismes HLM. Cette omission du cadre conventionnel que les décideurs locaux se sont donné est en soi problématique, même si l’on peut s’interroger ici ou là sur la qualité et l’efficacité de ces contrats : à tout le moins cela aurait mérité quelques explications de la part du ministre ou de ses services. Et ce d’autant que les actuels contrats de ville, à la différence de la génération antérieure, existent de par la loi puisqu’ils ont été consacrés par l’article 27 de la loi Voynet. Même ignorance des dispositifs conventionnels signés par les responsables locaux des GPV et des ORU : qu’en sera t-il de ces opérations dont nombre sont déjà sur les rails ?

Le silence en la matière peut valoir invalidation, ce qui ne manque pas de créer de la confusion, voire du désordre, et pas seulement dans les procédures. Précisons aussi que le nouveau calendrier de la loi de programmation, décidé pour cinq ans à compter de 2004, s’exonère ainsi de celui des contrats de plan dont le terme est fixé à 2006[6].

Même omission, et c’est peut-être plus préoccupant, s’agissant des autres chantiers législatifs décidés par la représentation nationale. La question ici n’est pas que celle de la “ qualité réglementaire ”, chère à ceux qui ont en charge la modernisation de l’Etat, et qui veut que chaque nouveau texte législatif ou réglementaire tienne compte de l’existant, mais elle est aussi, pour le citoyen et l’usager le moyen de la lisibilité, et le gage, du moins espéré, de l’efficacité de l’action publique. A la différence de la loi Pacte de relance de novembre 1996, qui dans son article premier faisait une référence explicite à la loi d’orientation sur la ville de juillet 1991 pour en compléter les objectifs, la loi Borloo ignore cette filiation et ne fait état que de la loi Pasqua de 1995, qui ne traitait que secondairement de la ville. Même constat s’agissant des lois de 1999 et 2000 : aucune référence aux chantiers de l’intercommunalité, pourtant investie de la compétence “ politique de la ville ”[7], non plus qu’à celui des contrats d’agglomération dont une cinquantaine seront signés d’ici la fin de l’année (soit le tiers des agglomérations de plus de 50 000 habitants).

L’ignorance la plus emblématique est cependant celle de la loi SRU puisqu’elle touche directement aux objectifs de mixité et de solidarité en matière de logement social (une seule référence timide aux 20 % de logements sociaux apparaît dans l’annexe 3.2., mais il ne s’agit là que d’un indicateur). On sait certes que l’actuel gouvernement s’est employé, par la  récente loi “ Urbanisme et habitat ” à atténuer les contraintes des nouveaux documents de planification, mais il n’a pas, pour l’instant en tout cas, touché à l’obligation de rattrapage et de meilleure répartition des logements sociaux. Ce faisant le nouveau programme de rénovation urbaine se prive d’un “ rebouclage ” intelligent, qui aurait permis de mettre à profit la démolition d’un certain nombre de logements pour les reconstruire là où ils manquaient de façon anormale. C’était sans doute politiquement trop audacieux, encore que la majorité des maires concernés, et on les comprend, ne souhaite pas que la reconstruction se fasse sur place. Cette disjonction entre la politique “ ordinaire ” du logement social et celle relevant de la rénovation urbaine est consacrée sur le plan opérationnel par le ministre qui, interrogé sur la question, fait état de deux budgets, l’un relevant du ministère de l’Equipement et l’autre du sien : comment dans ces conditions espérer de véritables politiques locales de l’habitat ?[8]

Enfin, au rang des nécessaires mises en cohérence, il faudra que le ministère de la ville précise ce qu’il advient du “ Comité national d’évaluation de la politique de la ville ” créé par un arrêté de janvier 2002, auquel semble se substituer l’ “ Observatoire national des ZUS ” ; à ceci près qu’ observer et évaluer n’est pas la même chose… .

 

 

Des règles du jeu peu explicites

 

Les règles du jeu qui découlent du nouveau texte de loi appellent quelques précisions, et ce au moins sur les trois questions suivantes.

Celles qui vont valoir pour l’allocation des financements de l’ANRU aux villes. Par ce biais va en effet se dessiner progressivement une géographie prioritaire de la ville, découpant dans la masse des ZUS, un nombre fini de sites bénéficiant de la solidarité nationale. Comment faire en sorte que cette géographie, venant compléter celle des ZFU, déjà dessinée par l’Etat central, fasse l’objet d’un véritable débat et ne donne pas l’avantage aux communes déjà bien servies ou moyennement nécessiteuses, qui auront eu la possibilité de commander un projet de qualité, ou au pire à celles qui auront eu l’heur de plaire au ministre ? Quels sont les critères, à la fois en terme d’opportunité et de qualité, à mettre en place pour éviter ces écueils ? Le ministre avait imaginé à cet effet, fin 2002, l’élaboration d’une “ charte pour la rénovation urbaine ” dont il n’est dorénavant plus question, et c’est dommage.

Celles ensuite qui devront organiser la relation entre l’Etat et les collectivités locales, traditionnellement conçues sur le mode contractuel, mécanisme d’ajustement politique et financier entre les partenaires. La situation installée par la loi est ici aussi confuse, puisque s’il n’est plus question de contrat de ville, le principe de contrats est maintenu : le programme quinquennal d’actions des ZUS sera “ contractuel ” ou “ conventionnel ”, et les subventions de l’ANRU également (encore que son conseil d’administration pourra fixer des seuils en dessous desquels il n’est pas conclu de convention).De même, on l’a indiqué, il est prévu des “ conventions de gestion urbaine de proximité ”. Cela fait beaucoup : on sait par expérience de trente ans de politique des quartiers puis de la ville, que “ trop de contrats tue le contrat ”, et on sait aussi que le contrat, s’il est “ incontournable ”, n’est pas à tout coup un outil efficace. Cela aussi aurait mérité quelques précisions, en forme de préconisations, voire d’exigences.

Celles enfin qui vaudront pour la relation entre les différents niveaux d’administration de l’Etat, particulièrement entre l’ANRU et les préfets. Dans le souci de donner toute leur place à cet échelon déconcentré, interlocuteur quotidien des maires, il avait été envisagé, dans une des moutures du projet de loi, de faire du préfet le “ délégué territorial de l’ANRU ”, alors que le texte finalement voté ne fait plus état que de l’ “ appui ” que prendra l’Agence sur lui. Il n’est donc plus guère envisageable que l’échelon local de l’Etat parvienne à atténuer, dans la pratique, le caractère fortement centralisé du nouveau dispositif (qui est à lui tout un aspect qui mériterait débat…).

 

 

 

 

Le choix contestable de la démolition massive

 

La décision de démolir 200 000 logements sociaux en cinq ans constitue la mesure la plus spectaculaire du programme national de rénovation urbaine. Le geste ainsi proposé est, c’est le moins que l’on puisse dire, radical et la réflexion sur le sujet aurait dû être empreinte d’une certaine gravité. Parce qu’il est loin d’être sûr que la démolition à cette échelle et dans ce calendrier soit souhaitable ni seulement possible.

Pour de nombreuses raisons. D’abord celle de la suppression d’une offre précieuse de logements sociaux dans un pays où il en manque cruellement (rappelons qu’il y a près d’un million de demandes en instance), et tandis qu’on entre dans une période de raréfaction de l’argent public : pour compenser les 40 000 démolitions annuelles, tout en continuant à assurer la production ordinaire, comme c’est prévu par la loi, il faudrait produire chaque année 90 000 logements neufs là où on peine à en faire 50 000…. Ensuite parce que ces opérations sont très onéreuses, parce ce que la démolition, pour les habitants des immeubles concernés, constitue presque toujours un traumatisme, et parce que le montage des opérations de relogement prend souvent plusieurs années (rappelons qu’en 2002 on n’a pas réussi à démolir plus de 8000 logements). Egalement, et on en parle moins souvent, parce que l’on risque de mettre à bas des pans entiers et significatifs d’un patrimoine qui n’est pas toujours dépourvu de qualités architecturale et urbaine : démolir 200 000 logements c’est supprimer un gros quart de la production totale des grands ensembles et des ZUP, et il y a fort à parier qu’il comprend des éléments intéressants[9].

Enfin et surtout  parce qu’on risque fort de se tromper d’analyse en corrélant “ pathologie sociale ” et “ pathologie architecturale ” (B.Vayssière) : les habitants de ces quartiers souffrent d’abord et surtout de leur exclusion économique et sociale, et du regard que la société porte sur eux. Faire imploser leur lieu de vie n’y changera pas grand chose à soi tout seul, et pourrait bien relever du seul “ traitement magique ”, familier des ethnologues.

Bref, un tel enjeu appelle un débat, et on s’étonne qu’il ne parvienne pas à s’installer, à la suite notamment de l’avis circonspect du Conseil National des Villes[10], et des alertes du mouvement HLM lors de son congrès de juin. Et pour l’argumenter on aurait tout à gagner à interroger, toutes choses égales par ailleurs, l’histoire de la …rénovation urbaine des années soixante, qui, sans pour autant réussir à tenir ses objectifs quantitatifs, a eu le triple effet de chasser des centres ville les ménages pauvres, d’endetter durablement les collectivités locales et de faire disparaître un patrimoine architectural digne d’intérêt[11]. En se rappelant aussi que la loi Malraux est rapidement intervenue pour  en limiter les dégâts … .

 

Présentant son texte, le ministre de la ville écarte l’idée d’un “ énième plan pour les banlieues ” et  parle de “ révolution culturelle ”[12]. L’histoire tranchera sur la réalité et le sens de cette révolution, mais pour l’instant l’heure est surtout aux interrogations, voire à l’inquiétude. Ce n’est pas la loi, dorénavant votée, qui les lèvera, mais peut-être ses textes d’application, et plus encore la pratique : on sait bien qu’en matière de politique de la ville, “ tout l’art est d’exécution ”, pour le meilleur et pour le pire.

Il est donc encore temps d’ouvrir un vaste débat tant sur les objectifs que sur les méthodes de cette politique de la rénovation urbaine. National mais plus encore dans chacune des villes concernées, il devrait associer les élus, les représentants de l’Etat et l’ensemble de leurs partenaires. Mais l’enjeu commande qu’on n’y reste pas dans l’entre soi des décideurs et qu’on l’ouvre également aux principaux intéressés: les habitants.

 

 

Philippe Méjean

Urbaniste et maître de conférences à l’Institut d’Aménagement Régional

Université d’Aix – Marseille III    



[1] La remise en service des ZFU constituait le seul engagement de la campagne présidentielle du candidat Chirac. De manière générale la question de la ville a été très absente des thèmes développés par les candidats. 

[2] Voir notamment l’article ainsi titré de D. Béhar dans le numéro d’Esprit Quand la ville se défait  novembre 1999. Ce scénario de reprise en charge de la politique de la ville par le droit commun, reposant sur la confiance faite aux élus et à leurs services,  n’était pour autant pas exempt de risques. On pourra se reporter à ce propos à notre article Les enjeux de la politique de la ville Urbanisme n° 314 septembre-octobre 2000

 

[3] Interview de C. Bartolone dans le Moniteur n° 5125 du 15.02.2002.

[4] Ceci n’a pas échappé aux professionnels de la politique de la ville, réunis dans l’Inter-réseaux DSU, dont le président A. Arnaud  note dans La Gazette des communes du 25 août 2003:  “ On risque de se diriger vers une culture de guichet , au détriment d’une culture de projet. (…) Notre inquiétude est que la loi renforce une culture professionnelle thématique au détriment d’une culture généraliste axée sur le développement ”.

[5] Suite au Rapport au Ministre de la Ville pour l’élaboration des contrats de ville 2000-2006 proposé par G. Cavallier et Ph. Méjean en mai 1999. 

[6] Ceci étant par contre cohérent avec les déclarations du ministre J.P. Delevoye remettant en question pour l’avenir les contrats de plan.

[7] Le rapport du Conseil d’Analyse Economique relatif à la ségrégation urbaine, récemment remis au Premier ministre et rendu public le 5 novembre, renforce quant à lui l’exigence de l’intercommunalité en proposant de déléguer à l’agglomération “ l’objectif de cohésion sociale ”, dans une continuité explicite avec la loi Chevènement.

[8] Entretien avec J.L. Borloo dans le Courrier des maires de septembre 2003.

[9] Voir notamment l’article de B.Vayssière Grands ensembles : pourquoi les démolir ?  Etudes Foncières n° 103 mai-juin 2003.

[10] Avis du CNV sur “ Les démolitions et le renouvellement de l’offre de logements sociaux ” du 13 mars 2003.

[11] L’intitulé du portefeuille de J.L Borloo, “ Ministre de la ville et de la rénovation urbaine ”, y invite directement. Ceux qui ont décidé de ce titre avaient-ils en tête la référence à la procédure de 1958 ?

[12] Entretien Courrier des maires déjà cité.

Auteur : Olivier Dulucq

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