Confier la nouvelle phase de décentralisation à une finistérienne
pourrait suffire, tant ce pays, parsemé d’éoliennes, est venteux.
Marylise Lebranchu, femme, socialiste, ancienne agente de développement,
semble avoir le profil idéal pour donner du baume au cœur aux tenants
de la citoyenneté, de la démocratie territoriale et du développement
local. Mais Dante, dans la Divine Comédie, nous exhortait déjà à ne pas
croire en une seule personne, fut-elle providentielle : « Le renom dans
ce monde n’est qu’un souffle de vent… qui change de sens en changeant de
parti. ». Si les résultats électoraux peuvent remplir d’espoirs certains, il ne
faut pas mésestimer le contexte qui est, c’est une litote, difficile.

Dans le désordre et sans préjuger de la véracité de nos hypothèses,
notons toutefois que :

– Le Sénat, suite à son basculement à gauche, a lancé des
états généraux de la démocratie locale, par un questionnaire à
destination des élus. Etrange conception de la démocratie qui ne serait
qu’élective…

– L’opposition entre les girondins et les jacobins a
traversé les siècles depuis la Révolution Française. Quelle est
réellement la conception de cette majorité conséquente, faut-il entendre
les propositions tout métropole de Gérard Collomb ou faut-il se fier
aux pratiques d’un ancien président de Conseil général de Corrèze ?
Grand Paris ou communauté de communes du pays de Tulle ?

– Les budgets de l’Etat sont calamiteux et Jean-Marc
Ayrault, ce jour, a déjà repris la maxime de la majorité précédente :
« les collectivités devront faire un effort identique à celui de l’Etat
sera mis en œuvre sur les concours financiers dès 2013 ».

– La dernière décentralisation, abusivement qualifiée d’Acte
II par Jean-Pierre Raffarin, a consisté à du bricolage, des transferts
du haut vers le bas, mais les questions de démocratie locale, de
fiscalité, de péréquation, d’égalité des territoires sont restées en
plan. Est-on absolument sûrs qu’il en sera autrement demain ?

– Les Régions sur la dernière mandature ont été assez
timides sur les questions territoriales : des avancées contractuelles,
mais un souffle timide, dans l’innovation, l’expérimentation
territoriale. Si elles ont respecté les principes de la loi Voynet,
elles n’ont guère été au-delà de ses obligations.

– Dernier élément mais central de notre point de vue, une
abstention qui continue à croitre, des votes protestataires de plus en
plus nombreux, dans des territoires notamment où les questions de
l’immigration ou de la désindustrialisation ne peuvent servir de
paravents…

S’il est probable qu’il faille une nouvelle phase de
décentralisation, de toutes les façons, c’est au programme, c’est
nécessaire mais pas suffisant.

D’abord un diagnostic, ensuite de la proximité, en passant par une
redéfinition du politique, pour aller vers de nouveaux contrats avec la
société civile, voilà pour nous le menu d’une nouvelle décentralisation.
Rien que ça !

D’abord un diagnostic…

La France va mal, ce ne sont pas Fitch ou Moddys qui le déterminent à
coups de dégradations, ce sont les urnes, ce sont les tensions, les
angoisses, les méfiances, les défiances. La France a rejeté le 6 mai le
pouvoir d’un seul homme, elle n’est pas pour autant prête à se
satisfaire du pouvoir d’un seul parti, fut-il socialiste.

La France va bien, aussi, ce sont les pages locales des quotidiens de
province qui le démontrent. Il n’y a jamais eu autant d’associations,
les Français sont généreux, altruistes, engagés. Des circuits courts,
des coopératives, des réseaux sociaux, des collectifs alternatifs se
mettent tous les jours en place et quasiment partout.

Ces deux visions sont caricaturales, manichéennes et dressent le
portrait d’un français schizophrène. Dans tous les cas, elles incitent à
prendre quelques semaines pour mieux comprendre la France et les
Français. Nous avons besoin d’un diagnostic partagé, vieille méthode du
développement local. Il ne s’agit pas de demander à tel expert, tel haut
fonctionnaire, tel consultant ce que nous sommes, ce que nous avons. Il
ne s’agit pas plus de fournir la solution, la décentralisation, avant
d’avoir compris ce qui clochait et ce qui allait. Il n’est pas
supportable au XXI° siècle, informatisé, médiatisé, communicationnel de
traiter le français comme un citoyen occasionnel, lors des consultations
électorales. Il y a aujourd’hui des expertises d’usages multiples,
foisonnantes, riches qui valent toutes les études d’impact
parlementaires ex-ante.

Ensuite de la proximité

La décentralisation la plus sensible pour les citoyens n’est pas la
plus visible, ni la plus lisible. C’est la montée en puissance des
intercommunalités dites de projets depuis le début des années 1990.
Mais, la montée en compétence, en puissance des intercommunalités, à
fortiori des agglomérations, ressemble aujourd’hui à la construction
européenne : des transferts conséquents, une technicisation croissante,
un « contrôle » démocratique proche de l’inexistant. Portrait à charge,
alors que nous sommes, depuis toujours de fervents défenseurs de cette
intercommunalité de projet. Mais « qui bene amat, bene castigat ». Il ne
faudrait pas que ces structures territoriales inventives connaissent
demain la même opprobre que l’Union européenne.

Parier sur la décentralisation, par opposition avec la perspective
Raffarin, c’est faire la pari de l’ascendant, de la subsidiarité. En
reprenant le titre du documentaire de Coline Serreau, il s’agit de
promouvoir des « solutions locales pour un désordre global ». il ne
s’agit pas de verser dans le localisme, mais de constater que les mains
secourables sont au bout de nos bras. Si l’Etat ne peut pas tout, ce
n’est pas une décentralisation descendante qui y remédiera, il est
probablement temps de (re)faire le pari du développement local.

Les acteurs sont nombreux, ils sont formés, compétents et
raisonnables. On les trouve élu, agent de développement, responsable
associatif, chef de petite entreprise, agriculteur ou militant. Faire la
pari de la décentralisation, c’est leur confier les clés du camion.

Attention, le plus probable est que la nouvelle décentralisation se
cantonne à clarifier les compétences des uns et des autres, éviter les
doublons, moderniser l’Etat en transférant aux collectivités telle
mission ou tel équipement, c’est nécessaire, mais loin du compte !

En passant par une redéfinition du politique

Cela doit passer aussi par une redéfinition du politique. Nous
voulons des élus normaux ! Des élus qui rencontrent les acteurs, qui
font remonter des projets, qui, in fine, dans un processus délibératif
clair, tranchent, car ils sont les garants de la bonne utilisation des
derniers publics. Un élu animateur, un élu facilitateur. Nul besoin d’un
génie des Carpates, il est temps aujourd’hui de capitaliser les années
d’expériences de démocratie, de participation, de mobilisation, pour
refaire société. Ce n’est pas une utopie nationale qui le permettra,
mais, plus probablement les nombreuses petites expériences, espérances
locales.

Aucune place pour une opposition entre démocraties participative et
représentative. Il n’y a pas de développement sans élus, mais ce n’est
pas parce qu’il y a des élus, qu’il y a automatiquement du
développement. Il ne fait pas se satisfaire de la défiance/méfiance à
l’endroit des élus, mais il ne faut pas non plus la nier. La
participation aux dernières élections régionales, cantonales et même
législatives a été faiblissime, il faut le prendre en compte, ne pas
s’en satisfaire et refaire de l’éducation civique, de l’éducation
populaire. Les citoyens s’intéresseront à nouveau à la politique quand
il seront sûrs que la politique les prend en compte.

Pour aller vers de nouveaux contrats avec la société civile

Nulle place ici pour des demandes intéressées, vénales, quoi que… La
société civile, les acteurs associatifs, les tenants de l’économie
sociale et solidaire, les militants du développement durable, les
initiateurs du développement local, ont besoin d’un cadre de travail qui
passe par de la reconnaissance de leurs apports, de leurs expertises,
de leurs capacités avérées à faire société, à jouer collectif. C’est, de
notre point de vue, ce dont la France a le plus besoin ! La
décentralisation n’est qu’un prétexte. Elle est un moyen de parvenir pas
un but en soi.

Pour ce faire, il y a plus besoin d’initiatives comme celles de
l’Unadel, de la CPCA, du Collectif des Associations Citoyennes, de
Pouvoir d’Agir, de l’ancienne Adels, dont nous ne faisons pas le deuil.
Le président du Sénat a annoncé cette semaine « une véritable
décentralisation avec une clarification des compétences. Nous allons
très rapidement mettre en place dans les départements et ensuite sur
Paris les Etats généraux de la démocratie territoriale. Ils auront lieu
en octobre à la Sorbonne. » Tout commença là en 1968, nous n’appelons
pas de nos vœux de telles manifestations, loin de là, mais que le génie
des acteurs soit reconnu, dans ces lieux pleins de génie…

Il ne s’agit nullement d’inquiéter, mais de faire comprendre que la
décentralisation peut être du mécano institutionnel, des transferts
comptables ou un projet de société. C’est ce que nous appelons de nos
vœux.

Cela se fera entre élus nationaux et locaux entre fonctionnaires
d’Etat et fonctionnaires territoriaux et cela ne produira pas beaucoup
plus que les décentralisations précédentes. Cela se fera avec les
citoyens, ce sera peut-être un peu plus long, complexe, mais cela peut
« réenchanter le monde ». Il est temps !

« La pensée est plus qu’un droit, c’est le souffle même de l’homme. » de Victor Hugo dans Actes et paroles.

Olivier Dulucq

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