Portrait de La Traverse – Coaraze

Publié le 1 mai 2020 | dans Documentation, Evénements & RDV des réseaux, Opinions et publications, Publications, Transition écologique et sociale | par Unadel

Retrouvez ici le podcast de La Traverse
“Coaraze : le tourisme au défi de la vie locale”


L’été, la côte d’Azur est l’une des régions les plus touristiques de France. Nice en particulier attire une grande partie du tourisme de masse et la métropole se targue d’une très bonne santé économique, avec un taux de réservation en 2019 en hausse de 3 points par rapport à l’an passé. Pour venir jusque là, un quart des touristes arrivent par avion, et plus de la moitié par la route. L’aéroport Nice-Côte d’Azur constitue une porte d’entrée exceptionnelle sur le territoire avec un trafic en hausse de près de 6% pour la saison 2019. Le tourisme, pour les territoires qui en ont le potentiel comme la Côte d’Azur, c’est une opportunité de développement économique « facile ». Mais laisser reposer 15% de l’activité territoriale sur un secteur économique saisonnier fortement dépendant des énergies fossiles ne nuit-il pas à sa résilience ? Et que dire de l’impact environnemental de ces millions de visiteurs dont les déplacements carbonés contribuent fortement au dérèglement climatique et qui, par leur simple présence et leur concentration, participent à la dégradation des espaces naturels ?

Vue de la Place du Château

Loin de l’affluence touristique estivale, c’est en novembre que nous nous sommes renduˑeˑs à Coaraze, dans l’arrière-pays Niçois. Depuis Nice, il y a une demi-heure de route. Nous prenons un train, puis un bus, puis continuons à remonter la vallée du Paillon en auto-stop. C’est au fond de cette vallée à la route sinueuse qu’apparaît le village médiéval, perché au sommet d’un mont. À l’image des territoires ruraux, Coaraze échappe aux problématiques du tourisme de masse. En effet, si les territoires ruraux représentent 80% du territoire, ils n’absorbent que 28% de la fréquentation touristique et génèrent 19,3% des recettes touristiques. Est-ce pour autant que les questions de tourisme ne posent pas problème ? Labélisé par les Plus Beaux villages de France, et ayant connu un succès précurseur chez les artistes contemporains et avant-gardistes dans les années 50/60, Coaraze aurait pu devenir un village envahit par le tourisme. Mais le choix de préserver la vie de village, garante de l’authenticité locale, a permis à Coaraze d’éviter la muséification et l’envahissement que connaissent d’autres villages alentours.


Un patrimoine culturel ancré dans l’histoire du village et les représentations collectives

Depuis les années 50, l’idée d’un développement de la commune au travers d’une politique culturelle et touristique a marqué l’histoire du village, tout autant dans ses projets que dans la volonté affichée des habitantˑeˑs de ne pas se laisser totalement envahir. Aujourd’hui, la politique communale s’apparente à un équilibre savant entre la valorisation du patrimoine matériel et immatériel et la préservation de la vie du village, culturelle entre autres, telle qu’elle prends forme actuellement.  

Une histoire culturelle et artistique singulière

Le dynamisme culturel de Coaraze émane de son histoire singulière, marquée par le passage d’artistes comme Jean Cocteau dès les années 50, puis d’artistes avant-gardistes dans les années 60. La « veine culturelle » qui descend la vallée des Paillons n’apparaît pas par total hasard, elle est la conjonction de plusieurs éléments et notamment de la rencontre entre le traditionnel et le moderne. Le maire élu en 1953, Paul-Mari d’Antoine, possède trois particularités qui lui permettent de mettre en place une politique culturelle ambitieuse : il est le plus jeune maire de France, il est poète et il est l’héritier d’une très vieille famille locale ce qui le fait bénéficier de la confiance des habitantˑeˑs. Une fois élu, il fait monter de Nice le cercle des poètes qu’il anime avec Jaques Lepage et organise régulièrement des événements culturels majeurs comme les Rencontres poétiques de Provence, l’exposition en plein air du futur groupe Support/Surface, etc. Cette dynamique, couplée à un article décrivant Coaraze comme le village bénéficiant du plus grand ensoleillement de France, a participé à la renommée du « village du soleil » et a renforcé son attractivité culturelle, artistique et touristique.

Cependant, l’organisation de certains événements insolites comme le meurtre rituel du cochon par Pierre Pinoncelli, des projets hors d’échelle comme la construction d’un barrage pour transformer le fond de vallée en station balnéaires, et la mauvaise gestion économique de la commune, ont tôt fait d’effrayer la population locale sur les ambitions de leur jeune maire qui ne sera pas réélu après son troisième mandat.

Des labels et une notion de patrimoine qui évoluent pour tenir compte de la vitalité locale

Une fois passée l’effervescence de ces premiers lustres, le développement du tourisme moderne oriente la commune déjà renommée vers la valorisation du patrimoine, aussi bien matériel, de par la forme esthétique du village médiéval perché, qu’immatériel, par rapport à son histoire culturelle. Elle est alors inscrite parmi les Plus Beaux Villages de France, un label dont les critères d’appartenance sont strictes et onéreux. Ces critères s’attardent par ailleurs beaucoup sur des caractéristiques esthétiques, à la recherche de villages « jolis ».

Cependant, le village de Coaraze développe actuellement, sous la seconde mandature de Monique Giraud-Lazzari et son conseiller municipal délégué à la culture Alain Ribière, un regard critique sur la notion de patrimoine. L’équipe municipale conscientise le besoin de ne pas tomber dans des « clichés » pour conserver l’authenticité du village, qui s’apparente mieux à la vitalité locale qu’à un facteur esthétique ou historique, bien qu’il soit toujours accordé beaucoup d’attention au respect des techniques traditionnelles dans la rénovation du bâti. Ainsi, dans sa volonté de ne pas tomber dans une « muséification » de la commune, la ville prends ses distances par rapport à des critères jugés trop « superficiels » et s’intéresse davantage au facteur humain. La participation de ses éluˑeˑs aux assemblées générales de l’association des Plus Beaux Villages de France, témoigne de leur volonté de faire bouger les lignes au sein même de l’organisation qui commence à considérer ces revendications. La ville conserve donc le label et souhaite voire évoluer les critères d’évaluation et de participation.

On voit qu’il y a du changement et que l’association des Plus Beaux Villages de France prends de plus en plus en compte la vitalité des villages comme critère de sélection

Monique Giraud-Lazzari.

D’autres labels, qui soulignent la singularité et les spécificités du patrimoine local, rendent en revanche bien plus fierˑeˑs les habitantˑeˑs. Le label « Village en poésie » reconnaît là l’engagement passé et présent de la commune en faveur des poètes.  Héritage de Paul-Marid’Antoine, un arrêté municipal original assure l’asile à tout exilé poète de profession. Le label « Oc » vient également reconnaître les mérites du village des frère Alan et Guiu Pelhon dans la valorisation de la langue et la culture occitane.

Enfin, suite au transfert de la compétence tourisme à la Communauté de Commune du Paillon, Coaraze a souhaité conserver sa capacité d’accueil des visiteuses et visiteurs en transformant son syndicat d’initiative en Maison du Patrimoine. C’est le seul endroit du village où sont en vente quelques produits locaux. Elle s’inscrit donc dans le prolongement de l’ancien syndicat d’initiative. Cependant, la volonté de parler de « patrimoine » plutôt que de tourisme, souligne la volonté de favoriser en premier lieu ce qui fait commun pour les habitantˑeˑs plutôt qu’une logique de pure attractivité.

L’association Li Luèrnas organise des visites guidées du bourg médiéval pour découvrir le patrimoine local et ses cadrans solaires.

Assurer un « tourisme de qualité » : accueillir des visiteurs sans attirer le tourisme

Malgré sa proximité avec Nice et sa renommée de Village du Soleil, Coaraze se tient à l’écart des effets du tourisme de masse – une volonté affirmée par la municipalité d’assurer une qualité d’accueil des visiteurs et de favoriser un « tourisme doux »pour éviter une sur-fréquentation qui nuirait à la qualité de la vie locale.

Des stratégies diverses pour échapper au risque de sur-fréquentation

Au vue de la configuration du village, accueillir un grand nombre de visiteurs exposerait la commune à des problèmes de sur-fréquentation, tels qu’observés dans certains villages voisins comme Saint-Paul de Vence notamment. Face à cette crainte exprimée par les habitantˑeˑs, la commune a assumé le choix de ne pas développer outre mesure son attractivité touristique, préférant par ailleurs le terme d’ « accueil des visiteurs » pour qualifier sa politique.

“On ne peut pas dire que tout est fait pour ne pas attirer les touristes, mais en tout cas rien n’est fait pour !” 

Richard Lazzari

Tout d’abord, la situation géographique escarpée du village en fond de vallée et son accès périlleux par la route sinueuse préserve la commune de l’affluence. S’il a été question, dans les années 80, de transformer la route pour faciliter l’accès au village par autocars, ce projet n’est plus d’actualité et le chemin dissuade les moins motivés, effectuant « un tri » dans les personnes qui y parviennent. En revanche, la fermeture d’une ligne de TER (qui ne dessert pas Coaraze) commence à mobiliser les habitantˑeˑs et les éluˑeˑs de la vallée pour la conservation des trains. 

Un autre choix stratégique réalisé par le village pour préserver son calme des masses de touristes réside dans le refus de participer à des émissions touchant un large public, comme le Village préféré des français, entre autres, par laquelle le village a été approché. La commune a pu observer la dégradation du cadre de vie subie par les habitantˑeˑs d’autres communes comme Saint-Paul de Vence à cause de leur envahissement après la diffusion de ces émissions et a fait le choix judicieux de ne pas y participer.

Enfin, la commune semble également avoir limité volontairement l’installation de commerces de type touristiques (revendeurs, etc.). Les attractions commerciales de Coaraze se résument alors à un café-bar-épicerie-dépôt de pain sur la place basse du village, un restaurant-pizzéria, une buvette dans la cour du château ouverte en période estivale, et la Maison du Patrimoine qui, en plus de son rôle de syndicat d’initiative, revends également quelques spécificités de l’artisanat local.

Des activités tout de même sources de nuisance

Certaines activités constituent toutefois des sources de perturbation. Le cadre naturel de qualité offert par la vallée du Paillon attire un profil de touristes plutôt « écolo » comme des randonneurs dont l’activité est perçue de façon relativement positive par les habitantˑeˑs. Mais des pratiques récréatives moins sobres telles que la pratique du trial, les rallyes automobiles et le canyoning dans le Paradis (rivière locale) posent des problèmes de nuisance, de sur-fréquentation et de dégradation de l’environnement, perçus comme une atteinte au cadre de vie. De même, si l’organisation de la brocante annuelle représente une manifestation chère aux coarazienˑneˑs, la multiplication d’événements rayonnants ne paraît pas souhaitée du fait de la saturation qu’ils peuvent engendrer.


Préserver la vie locale et les activités à destination des habitant.e.s

Malgré tout, la commune se distingue d’autres villages pour lesquels la sur-fréquentation détériore le cadre de vie. Mais cette attention va également en faveur du maintien d’une vie culturelle, associative, artistique et sportive dynamique, avec “une programmation qui n’a rien à envier aux grandes villes” (Lucien Massucco).

Un bouillonnement social, culturel et artistique qui s’ancre dans des lieux

Même s’il faut distinguer la période estivale comme étant particulièrement plus animée, il est vrai que le village de Coaraze se distingue d’une manière générale par son dynamisme local qui s’ancre dans différents lieux. Tout d’abord, la présence d’un café et d’une épicerie offrent des lieux de convivialité et permettent de réaliser des achats de base comme le pain. L’Espace de Vie Sociale participe également fortement à maintenir un endroit physique de sociabilité neutre et de production collective. Même si ce lieu n’est pas financé directement par la mairie, il semblerait que cette dernière joue un rôle facilitateur pour les activités qui y sont développées. La médiathèque représente aussi un lieu ressource, particulièrement fréquenté par les enfants et animé toutes les semaines par un cercle de lecteurs. Enfin, un caractère marquant du bouillonnement local est illustré par la présence marquée des enfants dans l’espace public, seuls ou accompagnés, une situation qui peut être attribuée aux interconnaissances villageoises et à la faible circulation automobile au travers du village.  

Espace de vie sociale de Coaraze

Une politique d’attractivité des jeunes ménages favorise la vitalité locale

Cette animation a été également favorisée par une politique d’attractivité des jeunes ménages qui s’investissent dans la vie de village en venant se greffer à l’offre d’activité déjà présente. Alors, lors du premier mandat de l’actuelle mairesse, l’installation d’une micro-crèche et l’agrandissement de l’école primaire ont permis d’attirer de nouvelles populations, également intéressées par les prix raisonnables et la qualité de vie offerte par la situation du village.  Ainsi, même si beaucoup de ces ménages travaillent en ville, à Nice, et même si la configuration en hameaux du village pourrait permettre à ses habitants de ne jamais passer par le centre, la présence de l’école et de certains centres d’intérêts dans le bourg, a fortement incité les nouveaux et nouvelles habitantˑeˑs à s’intéresser à la vie du village : en témoigne notamment la participation villageoise au Grand Débat prolongé en café-citoyen.

Des activités économiques à destination du tourisme mais aussi des habitant.e.s qui créent des emplois et de l’animation locale

Enfin, Coaraze conserve des activités artistiques, artisanales et économiques singulières, qui en font un village tout à fait habité. La présence du label de musique artisanal Fatto in Casa, des éditions de livres L’Amourier, d’une potière, de maraîchage et anciennement d’un cabinet de maquettistes, permet de conserver des activité et des emplois locaux. Autour du tourisme aussi, certaines activités sont conservées et d’autres en voie de développement. En difficulté, le restaurant a été récemment repris par deux habitantˑeˑs de Coaraze qui y possèdent déjà un gîte. L’été, les gérantˑeˑs organisent des concerts très régulièrement : « pour participer à la vie du village surtout, et puis oui, pour les touristes aussi, pourquoi pas ! ». L’activité touristique est cependant loin de constituer une part essentielle de l’économie locale et ramène de très faibles revenus à la mairie, qui sont toutefois les bienvenus en compléments. Les restaurateurs disent également vivre grâce à la population locale et non grâce au tourisme, mettant en garde contre le danger de construire un modèle économique entièrement basé sur cette source de revenus. Cependant, les activités économiques basées sur le tourisme « vert » peuvent tout de même représenter un levier de développement local et des liens existent déjà entre les producteurs locaux et les aménités d’accueil de visiteurs.

Les potagers, qui participent également à souder la communauté coarazienne autour de projets concrets sur l’alimentation

Conclusion

Coaraze détient tous les atours d’un village touristique : un patrimoine bâti médiéval bien conservé, son église inscrite (depuis 2018) aux Monuments historiques, ses chapelles peintes, ses cadrans solaires d’artistes contemporains, un environnement de qualité, une histoire culturelle singulière dont les traces sont encore présentes. Pourtant, le village a trouvé que la meilleure façon de célébrer cet héritage culturel, c’était de le perpétuer, sans tomber dans la célébration et la muséification, mais en le pratiquant au quotidien de façon vivante et incarnée, et en l’irriguant de la diversité des pratiques et cultures locales, à l’image d’un mescla[1], titre d’un album édité par le label Fatto in Casa. C’est là que réside toute l’authenticité du village.

Acteurs rencontrés :

  • Monique Giraud-Lazzari, maire
  • Alain Ribière, adjoint à la culture
  • Espace de Vie Sociale de Coaraze
  • Label de musique Fatto in Casa
  • Éditions Lamourier
  • Maison du Patrimoine de Coaraze

Rédactrice : Solène Cordonnier


[1] « mescla » signifie « mélange » en occitan.