Grand Est #1 / Rencontre avec Kristell Juven de C&T Grand Est
Fin février, Sylvain Adam, délégué national de l’Unadel a pu rencontrer et s’entretenir avec Kristell Juven, directrice adjointe de Citoyens & Territoires – Grand Est.
Sylvain Adam, pour l’Unadel / Mars 2019
L’association Carrefour des pays lorrains, née en 1994, a été rebaptisée “Citoyens & Territoires – Grand Est” (CTGE) en 2016 suite à la création de la nouvelle région Grand Est. Membre du réseau national l’UNADEL, elle accompagne élus et acteurs du développement local dans la région. Fin février, j’ai pu m’entretenir avec Kristell Juven, directrice adjointe de CTGE, et j’ai participé à un débat organisé à Velle-sur-Moselle : « Demain, la commune ? ».
Développement local au Sénégal puis en Lorraine
Titulaire d’un diplôme en sciences économique, Kristell Juven a d’abord travaillé sur des projets de développement local au Sénégal avant de revenir en France. Après un passage à Paris, elle rejoint en 2000 la Lorraine et le Carrefour des pays lorrains (association devenue Citoyens et territoires Grand Est en 2016, réseau des acteurs du développement local dans la région) à l’origine pour une mission de coopération décentralisée et de solidarité internationale ainsi que sur le développement du programme Emploi-Jeunes. En charge de l’animation des réseaux, son poste actuel de directrice adjointe rejoint les 4 quatre missions de l’association : capitalisation et transmission d’expériences, organisation de rencontres multi-acteurs ou multi-thèmes, accompagnement et formation auprès des acteurs des territoires, propositions auprès des pouvoirs publics (ex : programmes européens, schémas régionaux…).
Pour être au fait des réformes territoriales, elle a beaucoup lu, s’est formée auprès de collègues plus expérimentés et a profité de son expérience d’élue locale (adjointe sur la commune de Pierre-la-Treiche depuis 2008 et présidente de la communauté de communes du Toulois de 2013 à 2016). Au moment des débats parlementaires sur la loi NOTRe de 2015 (considérée comme l’acte 3 de la décentralisation), elle était ainsi en capacité de former son propre avis. Si elle est montée en compétence sur les questions fiscales et juridiques notamment, elle tient à rester généraliste : « il en faut, la vision globale est nécessaire ».
Du Carrefour des pays lorrains à Citoyens et territoires Grand Est
Quand Kristell est arrivée au Carrefour des pays lorrains, il y avait davantage de militance sur les territoires, aussi bien du côté des agents de développement que des élus locaux. Mais la fusion des territoires s’est accélérée depuis et la façon de faire réseau n’est plus la même aujourd’hui : chacun cherche sa connexion directe avec le préfet dans l’espoir d’être entendu et le lien avec les associations est davantage sur le mode prestataire de services – consommateur. En réponse à un besoin toujours actuel, Citoyens et territoires Grand Est (CTGE, ex-Carrefour des pays lorrains) reste sur des champs larges comme la santé, l’alimentation, la transition énergétique, l’économie de proximité, les services, dans une perspective innovante. Avec ses collègues, elle a ainsi organisé des rencontres et a travaillé sur la mobilité, l’habitat des jeunes ou sur les tiers lieux. Elle alimente aussi une banque d’expériences. Dans l’activité de mise en réseau, CTGE a beaucoup œuvré pour faire se rencontrer les conseils de développement, les animateurs de GAL LEADER, les professionnels du développement social urbain local.
L’association travaille en partenariat avec l’État et ses services, la Région, les départements, la Caisse des dépôts et consignation, ainsi qu’avec des associations d’élus, comme l’assemblée des communautés de France (AdCF), l’association Nationale des Pôles d’équilibre territoriaux et ruraux et des Pays (ANPP) et l’association des maires de France et des présidents d’intercommunalités (AMF).
Les défis actuels
Lors de la réunion du CA de CTGE le 25 février 2019 sont ressortis quelques défis auxquels l’association est confrontée.
Le premier est lié à la création de la nouvelle région Grand Est qui regroupe désormais la Lorraine, l’Alsace et la Champagne-Ardenne. CTGE, historiquement ancré en Lorraine, souhaite travailler au mieux avec la Région (plus de 57 000 km² et 5,5 millions d’habitants) et toutes ses composantes, ayant déjà une culture partagée du développement local, ou pas encore. On trouve des exemples notables aussi bien en Champagne-Ardenne (avec par exemple les Crêtes préardennaises) que du côté de l’Alsace (pionnière en France sur l’habitat coopératif et durable, et avec des expériences locales notables comme à Kingersheim ou Ungersheim…). La réorganisation est encore en cours au sein des nouvelles régions : on ne sait pas à l’heure actuelle ce que deviendront les contrats qui les lient à l’État.
Le deuxième défi est lié au changement de modes de pensée et modèles économiques qui affectent les réseaux associatifs. CTGE équilibre son budget grâce à des prestations de plus en plus nombreuses, notamment pour dispenser des formations. Le monde associatif n’est épargné ni par le découpage thématique (au niveau de l’État par exemple, les actions inter-ministérielles sont loin d’aller de soi), ni par la technicisation croissante (la boîte à outils sans questionnement du sens des projets), ni par la généralisation du système d’appels à projets, d’offres et à manifestation d’intérêt. Dans ce contexte, l’approche globale et transversale, ainsi que la structuration d’un réseau (partage de connaissances et de compétences) sont rendues bien plus difficiles : les subventions se font rares. Ce changement de modèle a un impact fort sur les activités et l’équipe de CPTE, qui ne veut pas se transformer en bureau d’études, mais est de fait fortement contrainte par la réponse à des commandes.
Causer sur la place publique : le couarail
CTGE continue pourtant à organiser des débats sur des enjeux larges, avec la participation de publics variés et en s’affranchissant le plus possible des cadres contraignants de la commande. La rencontre à Velle-sur-Moselle proposée le 26 février 2019 en est une bonne illustration. Évelyne Mathis, maire de cette commune de 300 habitants, a commencé par faire le tour du village et la visite des projets récents et en cours. Parmi ceux-ci, la reconversion d’un ancien corps de ferme en habitat pour personnes âgées, alternatif à la maison de retraite : dessiné par l’agence nancéienne GENS et livré en 2016, le projet a été primé à la 15e Biennale internationale d’architecture de Venise. Dans la salle Georges Chepfer (conteur lorrain), le débat qui a suivi, intitulé « demain, la commune ? », a rassemblé 45 participants : élus (dont sénateur, maires, présidents de communautés de communes ou de pays), professionnels et associatifs, à l’image de la composition du CTGE. . Il a beaucoup été question des rapports souvent compliqués entre communes et intercommunalités et des difficultés rencontrées par les élus locaux. Un pourcentage important de ceux-ci ne souhaitent pas se représenter lors des élections municipales de 2020, tout en restant persuadés que l’engagement local reste fondamental. Le 6 avril, CTGE a également organisé un débat sur l’Europe et la citoyenneté, quelques semaines avant les élections européennes.
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Le 26 février 2019, C&T a organisé à Velle-sur-Moselle, avec Évelyne Mathis maire de cette commune de 300 habitants, un débat intitulé « demain, la commune ? ».
C’est un paradoxe : d’un côté les sondages successifs montrent un fort attachement des français à la commune et de l’autre, un malaise transparaît actuellement chez certains maires, élus municipaux, particulièrement en milieu rural, quant au rôle et à la capacité d’agir de la commune, au rapport à l’intercommunalité, aux citoyens. La moitié d’entre eux pensent ne pas se représenter aux prochaines élections (récente enquête du AMF/CEVIPOF). Dès lors, se poser la question de ce que l’on peut faire et avec qui à l’échelle communale, du lien entre la commune et les autres strates d’organisation territoriale, de l’engagement citoyen à cette échelle, est plus que jamais d’actualité…
L’UE et l’avenir des politiques régionales : menaces sur le développement rural
Nous publions ci-joint la note que Jean-Dimas Malot (Chargé de Mission Europe et CPER au Conseil Général de la Nièvre) a adressée a ses élus à l’issue de cette rencontre
La Commission européenne vient d’ouvrir le débat sur l’avenir des politiques régionales de l’Union Européenne en présentant ses propositions financières pour 2007-2013 et le 3ème rapport sur la cohésion économique et sociale qui trace les grandes lignes de l’organisation des fonds structurels à partir de 2007.
La plupart des interlocuteurs de la concertation se déclarent satisfaits des orientations ambitieuses de la Commission et de la simplification de la programmation, de la gestion financière et des contrôles de la nouvelle génération de programmes.
Cependant, un département rural comme la Nièvre peut légitimement s’inquiéter de la libéralisation des règles de fonctionnement et de la concentration des interventions communautaires sur quelques thématiques. Le basculement définitif du développement rural dans le deuxième pilier de la PAC aura des conséquences sur le maintien de l’activité dans nos communes rurales et sur le soutien des initiatives des acteurs du développement local.
Les propositions financières :
La Commission propose de faire évoluer les crédits de paiements du Budget de l’UE de 1% à 1,11% du PIB européen.
Cet effort permettra d’absorber l’impact de l’élargissement et de financer les nouvelles priorités de l’UE (compétitivité ; espace de liberté, de sécurité et de justice).
La contribution de la France passerait de 44 Mds€ à 56 Mds€ tandis que la contribution de la politique régionale de l’UE en France passerait de 17 Mds€ à 14 Mds€.
L’enveloppe des ex OBJ 2 et OBJ 3 serait stable en France, passant de 11,7 Mds€ à 10,4 Mds€.
Ces projections financières permettent à l’ancien commissaire Barnier de déclarer que la France a préservé l’essentiel de la ressource communautaire.
Cependant cette approche budgétaire globale ne doit pas cacher l’essentiel : comment seront répartis ces crédits en régions et sur quelles priorités ?
Le système de mise en oeuvre
Maintien des principes fondamentaux de la gestion des fonds : programmation, partenariat, cofinancement et additionnalité.
Cependant introduction de mesures de simplification reposant sur le principe de subsidiarité :
–La programmation se limitera à deux étapes :
-Une étape politique au cours de laquelle chaque Etat membre présentera à la Commission un document précisant la façon dont il envisage d’organiser ses priorités et les financements. Il sera donc nécessaire d’exiger que l’Etat définisse ses orientations en étroite collaboration avec toutes les collectivités locales, leurs groupements et les acteurs du développement local (Pays, Parcs, associations) pour que les programmes soient élaborés au plus prés des réalités locales.
-Une étape opérationnelle qui permettra l’élaboration d’un programme pluriannuel proposé et négocié avec la Commission au niveau des priorités stratégiques. Il n’y aura donc plus de complément de programmation définissant précisément les actions éligibles. La Commission envisage même d’élaborer une liste des actions non éligibles en lieu et place des compléments de programmation. Les maquettes financières seront élaborées par grand axe et non plus par mesure.
Ces modifications, sous couvert de simplification et de souplesse, introduisent une concurrence accrue entre projets et préfigurent, à mon avis, un système de programmation proche de l’appel à projets. Dans ces conditions, ce seront les acteurs les mieux organisés et les plus informés qui tireront leur épingle du jeu.
–Tous les territoires sont potentiellement éligibles.
Selon la Commission européenne, chaque région française devrait pouvoir être accompagnée si le gouvernement en fait le choix, y compris l’île de France. A l’intérieur de chaque Région le zonage est supprimé.
Les enveloppes par Etat seront déterminées par la Commission sur la base de 3 critères : le PIB/hab., le taux d’emploi, la densité démographique dans une moindre mesure.
La suppression des zonages et le transfert aux Etats membres de la responsabilité de répartir les enveloppes par région introduisent une incertitude sur le niveau d’intervention de l’Union européenne dans les zones rurales. On passe ainsi d’une logique de solidarité à une logique de compétition entre territoires. Cependant les territoires à handicaps géographiques permanents (îles, montagnes, zones de faible densité) pourraient bénéficier d’un taux de cofinancement majoré et d’enveloppes « bonifiées ». Selon quelles modalités et à quel niveau ? Nous aurons sans doute des précisions après la conférence sur la cohésion territoriale des 25-27 mai.
–Simplification des contrôles.
-Allégement des contrôles communautaires en fonction du niveau de cofinancement.
-Le respect de la règle d’additionnalité (principe selon lequel les ressources communautaires doivent s’ajouter et non se substituer aux ressources nationales) sera de la responsabilité des Etats membres.
-Suppression de l’évaluation à mi parcours pour ajuster la programmation.
Ce nouveau système de mise en œuvre ne pourra être efficace qu’à condition d’associer étroitement les collectivités locales à l’élaboration, à la mise en oeuvre et à la gestion des Fonds structurels. En outre la concertation sur l’avenir des CPER devra se faire en lien avec les nouveaux enjeux de la politique régionale européenne.
Le cadre d’intervention
Le cadre d’intervention est inspiré de l’agenda de Lisbonne de mars 2000 qui a fixé une stratégie visant à faire de l’Europe « l’économie fondée sur la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Le Conseil de Göteborg en juin 2001 a élargi cette stratégie à la protection de l’environnement et au développement durable.
Pour les futurs programmes régionaux, cela devrait se traduire par des interventions centrées sur les thèmes clés de :
– l’innovation et l’économie de la connaissance ;
– la lutte contre les pollutions et la prévention des risques ;
– l’accessibilité et les services d’intérêt économique général ;
– l’adaptabilité des personnes à l’évolution économique et l’employabilité des personnes vulnérables.
Ainsi les anciens Objectifs 2 et 3 se retrouvent dans la priorité « compétitivité régionale et emploi ».
Cette priorité sera financée moitié par le FEDER et moitié par le FSE. Elle représente 18% du Budget de cohésion au lieu de 22% dans la précédente programmation. Une diminution en valeur relative couplée par un accroissement des territoires éligibles (suppression du zonage et entrée des anciens obj. 1),
Coincée entre un objectif de convergence aux besoins accrus avec l’élargissement et une PAC gelée, la priorité « compétitivité et emploi » peut éventuellement être une variable d’ajustement du budget communautaire.
La proposition des six Etats membres contributeurs nets, dont la France, de plafonner le budget communautaire à 1% du PIB européen aurait pour effet induit de supprimer les aides régionales en dehors de l’objectif de convergence. Il est donc nécessaire de se tenir informé de l’évolution de la négociation sur les perspectives financières de l’Union européenne pour la période 2007-2013 dont dépend fortement le développement territorial de notre Département.
Le développement rural sort de la politique de cohésion pour basculer dans le deuxième pilier de la PAC. On peut regretter que la contribution de l’espace rural à une économie diversifiée (développement local, PME, artisanat, tourisme…), à l’accessibilité des services et à l’aménagement équilibré du territoire ne fasse plus partie des priorités de la politique régionale européenne .
La PAC deviendrait ainsi l’instrument unique du développement rural. Cette orientation remet en cause l’éligibilité des projets de diversification économique, de développement des zones rurales ou de maintien des services de proximité sous un angle non exclusivement agricole.
L’initiative LEADER serait supprimée mettant fin à l’acquis des expériences innovantes de développement local participatif en zone rurale.
Le calendrier
Le Parlement européen prépare un avis qui devrait sortir après les élections européennes.
La proposition de budget et la proposition politique seraient abordées dans les conclusions de la Présidence irlandaise au Conseil européen de juin.
En juillet 2004, la Commission adoptera les propositions de règlements des fonds européens afin de permettre une décision définitive du Conseil et du Parlement européen à la mi-2005.
Le Budget devra être adopté par le Conseil avant la fin 2005 afin que la conclusion des négociations des programmes puisse se faire courant 2006.
Les débats vont bien entendu se poursuivre au cours des prochains mois et ils seront l’occasion de recueillir des informations complémentaires sur la manière dont la Commission européenne envisage cette future politique de cohésion.
Je vous propose de travailler en étroite collaboration avec d’une part les associations de collectivités locales (notamment ADF et ARF) et d’autre part les réseaux de développement local (UNADEL, LEADER France et ETD) afin de faire remonter auprès de la DATAR, de la DG Regio et de la DG Agri nos inquiétudes sur l’avenir du développement rural dans les politiques européennes.
Jean-Dimas MALOT
Chargé de mission Europe/CPER
Voir également l’article de Gwénaêl Doré dans “Intercommunalités” de Mars (mensuel de l’ADCF)