Le projet de loi relatif à la nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe), adopté en 1ère lecture par le Sénat le 27 janvier dernier, est à nouveau dans le camp des députés. Son adoption définitive est prévue avant l’été.

Quels impacts le passage au Sénat a-t-il eus sur le texte ? Que peut-on espérer en termes de décentralisation et de gouvernance, alors que les élections départementales se profilent ? Interview croisée de Georges Gontcharoff, qui suit la réforme depuis 2008 et de Claude Grivel, président de l’Unadel.

CC Benjamin Stäudinger

CC Benjamin Stäudinger

Selon vous, ce texte atteint-il ses ambitions en matière de clarification des compétences et de renforcement du fait régional ?  

Georges Gontcharoff : le marathon législatif est loin d’être terminé. La première lecture devant le Sénat a complètement défiguré le projet du gouvernement. La commission des lois a fait…la loi ! On ne sait pas ce que cela va donner, ces jours-ci, devant une Assemblée nationale plus frondeuse que jamais. Répondre à cette question serait répondre à celle de savoir si le gouvernement a encore une majorité devant le Parlement.

Manuel Valls a fait preuve d’un autoritarisme croissant. Sera-t-il intraitable sur ce dossier ou lâchera-t-il du lest ?

Le gouvernement a déjà beaucoup reculé principalement sur la disparition des départements annoncée en premier. Puis, de déclaration en déclaration, il a édulcoré son projet, pour finalement y renoncer. L’évaporation des départements n’est plus à l’ordre du jour. À la lecture des débats, on peut dire que le gouvernement n’a pas résisté à l’assaut des départementalistes (il y en a beaucoup chez les socialistes), mais qu’il a, à peu près, préservé son projet sur les régions.

Néanmoins des éléments auxquels tenait le gouvernement semblent acquis, dans cette loi ou dans les précédentes : le nombre de régions a été réduit, les régions ont été renforcées dans leurs compétences de développement économique et d’aménagement du territoire, les métropoles “ordinaires” ont été mises en place le 1er janvier 2015, la clause de compétence générale devrait être supprimée pour les départements et les régions, en dépit des moqueries sur les revirements successifs des socialistes.. Mais il reste encore de grosses choses à faire passer.

Claude Grivel : En effet, ce qui est clair, c’est qu’il n’y aura pas de suppression d’une couche du soit disant mille-feuille, mais bien le maintien des différents niveaux d’organisation territoriale avec la réalité nouvelle des métropoles et des communes nouvelles. La répartition des compétences entre État, régions et départements sera-t-elle totalement clarifiée ? Si la suppression de la clause de compétence générale est maintenue pour les deux niveaux, cela posera le problème du financement de tout ce qui ne figure pas dans le champ des compétences expressément dédiées. La question du renforcement du fait régional en matière stratégique et économique reste d’actualité. Mais comment cela se traduira à l’échelle de la proximité dans les grands espaces régionaux constitués ? La loi ne pourra pas tout dire de la réalité vécue qui déboussole plus d’un élu et qui éloigne encore un peu plus les citoyens de la sphère publique.

Quels sont les principaux amendements adoptés par la commission des lois ?

GG : La commission des lois du Sénat a déshabillé le projet gouvernemental. Les points principaux sont les suivants. 

Le Sénat ne veut pas que l’on confie des compétences gestionnaires aux régions en les retirant aux départements. Les transports scolaires, les collèges, les routes départementales, le tourisme sont des compétences de proximité qui sont nécessairement mieux traitées par les départements que par les régions. D’ailleurs, sur tous ces points, la gestion des départements est, dit-on, exemplaire et cela serait aberrant de les leur retirer. Par ailleurs le Sénat pense que les régions doivent être chargées de missions stratégiques, prospectives, au travers des schémas qu’elles élaborent. Leur confier des tâches gestionnaires serait alourdir les régions et les empêcher de mener correctement leurs missions à plus long terme. Par exemple, il faudrait mieux confier les lycées aux départements que les collèges aux régions.

Le Sénat reste très réticent à tout ce qui pourrait ressembler à une tutelle de la région sur les collectivités territoriales infrarégionales. Il tient farouchement à la libre administration des collectivités et rechigne donc devant des notions telles que “le chef de filat”, le caractère prescriptif des schémas régionaux, le moindre pouvoir règlementaire donné aux régions. Bref, le Sénat reste farouchement jacobin. La République est une et indivisible, même si son organisation est décentralisée. Donner trop de pouvoir aux régions, c’est s’acheminer dangereusement vers le modèle des Länder et, par conséquent instiller un fédéralisme intolérable dans les institutions de la République.

Le Sénat refuse catégoriquement que le seuil minimal pour les intercommunalités soit porté à 20 000 habitants. Si ce seuil est parfois pertinent en zone urbaine, il est intolérable en zone rurale et principalement en zone de faible densité démographique et en zone de montagne.

D’une manière générale le Sénat s’est montré, une fois de plus, comme un grand défenseur de la ruralité et accuse le gouvernement d’abandonner cet espace au profit du tout urbain.

Bien entendu, le Sénat reproche au gouvernement de ne pas dire, simultanément, quels sont les moyens financiers, fiscaux, humains des collectivités territoriales pour leur permettre de gérer correctement les compétences réorganisées. Il ne faut jamais oublier que le débat se déroule sur fond de restrictions budgétaires que les sénateurs ne cessent de dénoncer. Le gouvernement peut-il repousser éternellement la réforme en profondeur de la fiscalité locale ?

Il a promis une réforme de la Dotation Globale de Fonctionnement qui en a bien besoin pour l’année prochaine.

Quels sont les points de vigilance, ceux à améliorer ?

GG : Tous les points qui viennent d’être énumérés vont devoir être surveillés lors du débat devant les députés. Des points de blocage très forts rendent difficiles des compromis. Mais sur d’autre points, il est certain qu’une discussion ouverte pourrait permettre des améliorations : définition plus claire de la proximité, rôle assigné à l’intercommunalité (sont-elles seulement des instruments entre les mains des communes, et donc des établissements publics, ou admet-on qu’elles glissent peu à peu vers un statut de collectivités territoriales, avec l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, afin de répondre enfin à l’émiettement communal ?) La majorité des élus de droite comme de gauche sont communalistes (et départementalistes) et veillent farouchement à ce que la commune soit totalement préservée. Le Sénat représente cette tendance puissante. 

On peut aussi progresser sur la manière de coordonner l’action des différents niveaux de collectivités pour mettre les politiques locales d’action publique en cohérence et pour réaliser des économies.

CG : Nous avons travaillé au sein des réseaux associatifs à l’introduction dans la loi NOTRé d’un chapitre « Dinet » suite aux démarches qu’il avait initiées en direction du gouvernement et du président de la République pour que le volet participation et engagement citoyen renforce et ré enchante la République et le fonctionnement démocratique. Ce chapitre ne figure pas dans le texte de loi. Il n’est pas certain que les députés soutiendront les amendements qui seront proposés et d’ores et déjà signés par une trentaine de députés entrainés par ceux de Meurthe et Moselle et particulièrement par Dominique Potier. Or le secteur associatif attend un signe fort dans ce domaine. L’Unadel et la coordination des conseils de développement ont plus particulièrement portés des amendements qui réaffirment le rôle et l’extension souhaitable de conseils de développement indépendants dans les territoires de projet et pas seulement dans les métropoles et les PETR. D’autres amendements devraient aussi être proposés pour renforcer le pouvoir d’agir des citoyens et être associé aux décisions publiques.

L’esprit du projet de loi tient-il compte des spécificités des territoires ?

CG : La loi ne peut pas tout dire, mais elle peut inciter à traiter de manière plus équitable l’ensemble des territoires sans renforcer ce qui les sépare. Il n’est pas certain que la loi NOTRé réduira les écarts et les inégalités territoriales, notamment parce qu’elle n’aborde pas les aspects de la fiscalité et renforce le traitement catégoriel des collectivités (sur la base de critères de population notamment) sans interroger sur les fonctions et les usages des différents types de territoires.

GG : Un gros dossier est aussi constitué par la différenciation institutionnelle. Le jacobinisme veut que l’on n’ait qu’un seul modèle institutionnel et que tout le monde fasse partout pareil. Depuis un certain temps on a commencé à explorer des modèles spécifiques à certains territoires : les départements d’outre-mer, la Corse, la métropole de Lyon… Faut-il poursuivre dans ce sens et admettre que les élus peuvent inventer eux-mêmes des gouvernances mieux adaptées à leurs spécificités ?  Autrement dit, le mouvement ascendant et la subsidiarité pourront-ils un jour prendre le pas sur le mouvement descendant et sur l’uniformisation ?

Peut-on parler d’une véritable nouvelle étape de décentralisation ?

CG : Pas véritablement d’un nouvel acte en tout cas. Il s’agit davantage de donner satisfaction aux lobbys des grandes associations d’élus sans vraiment jamais poser la question de la fonction communale aujourd’hui et demain selon la taille et les moyens. L’introduction du suffrage direct pour l’élection intercommunale va toutefois dans le bon sens et fera évoluer les choses. La parité également. La question de la décentralisation de l’État qui va départementaliser davantage les services et les moyens qui lui restent après les avoir régionalisés n’est pas traitée dans cette loi. Si la loi donne la possibilité d’une concertation réelle et d’une décision concertée de répartition des rôles et des deniers publics dans l’intérêt général, tout en laissant une part de créativité et d’innovation dans la transformation sociale, on pourra évoquer la décentralisation. Mais n’est-ce pas trop utopique ?  

 L’ambition initiale d’un 3ème acte de décentralisation a été nettement revue à la baisse avec le saucissonnage en plusieurs textes et le vote fortement symbolique d’un premier texte portant affirmation des métropoles et la création compensatoire de pôles d’équilibre territoriaux ruraux. Ce second texte portant sur la nouvelle organisation de la République est d’abord et avant tout un texte de réforme de l’organisation territoriale locale en région, sans que soit abordé le contenu d’une réforme de l’État en région. Une loi de décentralisation devrait agir simultanément et concomitamment sur les deux plans. Ce constat posé, un texte a été proposé, discuté et largement amendé au Sénat en 1ère lecture ; il revient à l’assemblée largement modifié et repartira au Sénat sans doute dans un état plus conforme à son état initial.

GG : Le Sénat affirme, à juste titre, que le projet de loi n’est pas un projet décentralisateur. La décentralisation consiste à retirer des compétences à l’État et les confier à l’un des trois niveaux de collectivités territoriales. Rien de tel ici. L’État n’abandonne aucune nouvelle compétence, Le projet clarifie, réorganise les compétences mais entre les seules collectivités territoriales. Le Sénat a déployé un forcing pas possible pour que l’État confie aux régions le service public de l’emploi. Le gouvernement a résisté en invoquant l’impossibilité de décentraliser, au moins pour le moment, un Pôle-Emploi en pleine crise.

Plus généralement, le Sénat reproche au projet de loi ne rien dire en ce qui concerne la réorganisation des services déconcentrés de l’État; s’il faut réformer  les collectivités territoriales, il faut aussi réformer l’État ;  la déconcentration doit être parallèle à la décentralisation. Ce sont les doublons de service et de fonctionnaires entre l’État et les collectivités qui sont le plus budgétivores. Il y a un réel gisement d’économies à réaliser si l’État renonce à un certain nombre de ses services et agences. Mais cela suppose que l’État ait confiance dans les élus et ne passe pas son temps à les surveiller et à les doubler.

Concernant la gouvernance des territoires : y a-t-il des avancées en termes de prise en compte des savoirs citoyens dans la décision publique ?

GG : jusqu’à présent il n’y a pas un mot dans la loi concernant la démocratie locale et la place des citoyens. Les amendements des Verts sur ce sujet, devant le Sénat,  ont été retirés ou rejetés, sauf un qui était purement formel. Et le gouvernement a nettement marqué son refus d’aborder cette question. Cela n’est pas de bon augure pour les amendements que nous faisons présenter devant l’Assemblée. Manifestement, les élus, de quelque bord qu’ils soient, sauf les Verts, n’ont aucune ambition à l’égard d’une amélioration de la démocratie locale. Il faut que nous fassions confiance aux élus. Ils sont spontanément démocrates et n’ont pas besoin qu’une loi les contraigne à tenir compte du peuple.

CG : Je ne me prononcerai sur cette question que lorsque le texte définitif sera voté. Pour le moment, les textes, que ce soit celui proposé par le gouvernement, celui voté en 1ère lecture au Sénat ou celui issu de la commission des lois, nous laissent perplexes.

En somme, le projet de loi est vidé de sa substance par le Sénat qui défend les départements et refuse de donner trop de pouvoirs aux régions ;  il ne propose rien sur la réforme des services déconcentrés de l’État, reste en désaccord sur l’intercommunalité (seuil), ne présente pas d’avancées démocratiques, dans un contexte où rien n’est amorcé sur la réforme de la fiscalité locale… Les seules mesures significatives restant concernent les transports et l’encadrement de la compétence économique ! Tout ça pour ça… Comment les électeurs vont-ils pouvoir voter fin mars, sans savoir quelles compétences seront dévolues aux futurs conseillers ?

CG : Deux lois ont été votées dont l’application aura un réel impact : la première, la loi Mapam avec la création des métropoles d’une part et des PETR d’autre part qui ont l’obligation de mise en œuvre d’un conseil de développement et de définir un projet de territoire dans l’année suivant leur installation; la seconde sur le calendrier électoral et la carte des régions qui ne seront plus que 13 au 1er janvier prochain. Dans les régions  concernées par les fusions, il est difficile de dire qu’il ne va rien se passer. Transfert probable du transport scolaire et des mobilités aux régions d’un côté, de l’autre maintien des routes aux départements : cela conforte la répartition et la spécificité des compétences régionales et départementales. La suppression de la clause de compétence générale est confirmée par la commission des lois de l’Assemblée et a été votée en 1ère lecture. Cela va modifier clairement le rapport entre les assemblées régionales, départementales et locales qui auront de plus en plus de mal à boucler des budgets amputés par les baisses de dotation. Cela étant je vous rejoins entièrement sur la question du citoyen qui va devoir voter fin mars pour une assemblée départementale dont les compétences et les moyens d’agir ne sont pas stabilisés. Ce n’est pas l’idéal pour réconcilier le citoyen avec la politique ! Mais cela n’est pas réellement nouveau. Les couples de candidats aux départementales et leurs remplaçants devront faire  de la pédagogie pendant la campagne. À charge pour ceux qui sont élus de conserver ensuite un lien avec leur territoire d’élection qui n’est ni un territoire de gestion de services, ni un territoire d’administration ou d’organisation des politiques publiques.

L’Unadel attend d’une loi de décentralisation qu’elle ne concerne pas que les seuls élus; justement parce que la décentralisation doit permettre des prises de décisions au plus près des concitoyens. L’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques, décentralisées ou non, concernent les citoyens et devraient donc les associer à chacune des étapes, parce qu’ils sont les experts d’usage ; les décisions appartiennent évidemment aux élus qui, pour autant doivent informer et consulter avant de décider, puis rendre compte après en s’appuyant sur une évaluation de l’impact des décisions prises. Il est bon de rappeler des évidences qui semblent parfois bien loin de l’exécutif gouvernemental et des postures parlementaires.

On peut aussi s’interroger sur la fonction du Sénat de représentation des collectivités locales. Ne devrait-il pas être d’abord une chambre de représentation des territoires et donc des collectivités et des citoyens et non pas celle des associations d’élus et des maires ? 

Propos recueillis par Blanche Vandecasteele 

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