Une rencontre organisée le 15 avril par l’Association des maires de France a donné une nouvelle occasion aux élus de manifester leur opposition à plusieurs dispositions du projet de loi Notr, dont le seuil de 20.000 habitants prévu pour les EPCI, la question des compétences et le principe du suffrage universel envisagé pour les élus intercommunaux. Ils continuent d’y voir une menace pour la commune. L’accord entre Assemblée et Sénat risque d’être difficile.

“L’inscription du principe du suffrage universel au niveau intercommunal, la barrière des 20.000 habitants pour une intercommunalité, la suppression de la libre définition de l’intérêt communautaire, le transfert de nouvelles compétences” : en quatre points, André Laignel, le premier vice-président de l’Association des maires de France (AMF), résumait d’entrée de jeu les principaux sujets qui allaient nourrir les échanges de cette matinée du 15 avril. L’AMF organisait ce jour-là sa “Rencontre des intercommunalités”, sous un intitulé en forme de question : “Quel avenir pour les communes et les intercommunalités dans le projet de loi Notr ?”
Les quatre points évoqués par André Laignel ont, on s’en souvient, déjà largement donné lieu à controverses lors de la première lecture de ce projet de loi Notr qui doit maintenant revenir en deuxième lecture fin mai au Sénat. “Le projet de loi dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale constitue une forme de dérive. Ces éléments doivent évoluer. Sinon, c’est l’existence même de la commune qui serait menacée”, a insisté le maire d’Issoudun.
Le politologue Patrick Le Lidec, qui introduisait la rencontre de l’AMF, a été encore plus synthétique : ce qui pose problème aux yeux des maires, c’est “la carte, les compétences, la gouvernance”. Ce qui fait beaucoup. L’AMF espère donc alerter les parlementaires afin de peser sur la suite des débats. Elle avait d’ailleurs invité deux des rapporteurs du texte au Parlement. Olivier Dussopt côté Assemblée, Jean-Jacques Hyest côté Sénat. De quoi confirmer les divergences de vues entre les deux chambres, même si l’objectif – tel que Manuel Valls lui-même a déjà eu l’occasion de le dire – reste bien de parvenir à un accord. Autrement dit de ne pas se contenter d’un texte qui n’aurait été accepté que par l’Assemblée nationale. Les choses risquent pourtant de ne pas être simples. “Pour nous, un compromis, cela signifie parvenir à un accord global sur l’ensemble des points et non pas simplement s’entendre dire qu’on nous ‘lâche’ telle ou telle chose”, a prévenu Jean-Jacques Hyest.

Une règle “mal fichue”

“Laissez-nous faire, faites-nous confiance !” “Au lieu d’encourager les initiatives, on va tout réglementer partout”… Telle fut la tonalité générale de la plupart des interpellations des élus présents dans la salle. Notamment concernant le fameux seuil de 20.000 habitants qui s’imposerait aux intercommunalités. Pourquoi le gouvernement a-t-il envisagé ce seuil ? Patrick Le Lidec a avancé plusieurs hypothèses : “l’argument financier”, la perspective de la dévitalisation du département (laquelle impliquait que certaines compétences départementales redescendent à une intercommunalité de taille suffisante), “l’ingénierie de l’Etat, de plus en plus évanescente, qui serait amenée à être portée par les EPCI”… et le chercheur de rappeler qu’en vertu des “adaptations” – comprendre dérogations – introduites par les députés, ce sont 40% des intercommunalités qui seront concernées par un changement de périmètre.
Le système des dérogations imaginées à l’Assemblée ont été qualifiées par plusieurs élus d'”usine à gaz”. “Lorsqu’il faut prévoir autant d’exceptions, c’est bien que la règle de base est mal fichue”, a par exemple souligné Françoise Gatel, rapporteur de la commission intercommunalité de l’AMF. Olivier Dussopt était là pour défendre le dispositif. “Je n’accepte pas ce terme d’usine à gaz. C’est une règle de trois. C’est simple”, a-t-il assuré, rappelant les exceptions prévues : les zones de montagne, les zones dans lesquelles la densité démographique départementale est inférieure à la moitié de la densité moyenne nationale ou à la moitié de la densité du département auquel appartiennent la majorité des communes du périmètre… L’exemple du département du Cher a été donné, où le seuil tomberait ainsi à 8.500 habitants. Olivier Dussopt, député de l’Ardèche et par ailleurs président de l’Association des petites villes de France, a aussi mis en avant le “délai de repos” qui a été proposé pour les intercommunalités ayant fusionné récemment. Il a en outre déclaré “à titre personnel” qu’il s’agit “davantage d’un objectif que d’un véritable seuil”.
Pour Jean-Jacques Hyest pourtant, le compte n’y est pas. “Déjà, le seuil de 5.000 habitants instauré par la loi de réforme des collectivités de 2010 a été difficile. Il faut déjà digérer cela. N’oublions pas qu’avant 2010, 30% des communes n’étaient pas en intercommunalité”, a-t-il souligné. Il relève aussi que dans certains départements très ruraux comptant une importante aire urbaine, les dérogations ne vaudront pas. En outre, il craint que la vision d'”objectif” que fait valoir Olivier Dussopt ne tienne pas : “Les préfets, eux, vont bien considérer qu’il s’agit d’un seuil. D’ailleurs, certains d’entre eux ont déjà commencé alors même que la loi n’est pas encore votée !”

Les fusions seront-elles synonymes de dilution ?

“A 20.000 habitants, le scolaire, par exemple, vous ne vous en occuperez plus”, prévoit le rapporteur de la commission des lois du Sénat, rejoint sur ce point par plusieurs maires. “Plus un EPCI est grand, plus on assiste au retour de compétences vers les communes. Dans mon département, c’est une véritable foire à la fusion. Résultat, on en vient, pour pouvoir gérer une école, pour pouvoir exercer telle ou telle compétence, à recréer des syndicats !”, a témoigné l’un d’eux. Un élu dont la situation est certes assez inédite, puisqu’il préside aujourd’hui une communauté de communes de 11 communes et seulement 2.500 habitants qui essayait jusqu’ici d’atteindre “la plus forte intégration possible”… mais qui pourrait être contrainte de rejoindre une communauté de 90 communes et 45.000 habitants. “Nous, au sein de notre communauté de 12.000 habitants, on travaillait sur notre projet de territoire, mais aujourd’hui on nous dit d’arrêter”, a expliqué un autre.
Sur le terrain des compétences toujours, l’AMF se redit notamment opposée au transfert obligatoire des compétences eau et assainissement introduit, tout comme celui de la compétence déchets, lors de l’examen du projet Notr à l’Assemblée. De même qu’elle critique la réduction du champ d’application de l’intérêt communautaire : “L’intelligence des territoires, c’est de pouvoir définir finement ensemble ce dont nous avons besoin, conformément au principe de subsidiarité. Au départ, l’intercommunalité a bien été conçue comme un outil pour renforcer la commune, pas l’inverse”, a commenté André Laignel.

Le suffrage universel, simple épouvantail ?

Enfin, en matière de gouvernance, l’article 22 octies du projet de loi Notr cristallise les incompréhensions. Il s’agit de l’article qui pose le principe d’une élection des élus intercommunaux au suffrage universel direct à l’horizon 2020. Olivier Dussopt a certes rappelé qu’il ne s’agit que d’un “article de principe” qui, “s’il est adopté en l’état, n’aura aucune conséquence pratique”, comparable à l’article 54 de la loi Maptam pour les élus métropolitains… Mais les applaudissements ont été pour Jean-Jacques Hyest lorsque celui-ci a assuré que “jamais le Sénat n’acceptera cette élection au suffrage direct”.
Là encore, Patrick le Lidec a émis des hypothèses quant aux raisons de cet “amendement d’appel” : faut-il y voir “l’amorce d’un grand mouvement”, sachant que Manuel Valls a fait entendre en juin dernier sa volonté d’aller plus loin que le système du fléchage ? Reflète-t-il surtout “l’impatience de certains parlementaires” vis-à-vis d’un vieux débat qui n’avance pas ? Ou bien s’agit-il simplement d’une disposition “tactique” visant à servir de “monnaie d’échange en vue de la commission mixte paritaire” ? André Laignel semble retenir cette idée d’un “oripeau brandi en vue de la négociation à venir”, le jugeant “pas très habile et révélateur des arrière-pensées de certains, qui souhaitent commencer à jalonner un parcours”…
Ces échanges parfois amers ont conduit l’AMF à élaborer une “déclaration”  dans laquelle ils appellent à “respecter les communes et les maires”, “faire confiance aux élus pour déterminer les périmètres les plus cohérents”, “conforter le principe de subsidiarité et les transferts volontaires de compétences”, “mutualiser efficacement” et cesser “le changement perpétuel des règles qui déstabilise les projets en cours”.
Deux autres associations de maires ont fait entendre des credo comparables à peu près au même moment. Il y a eu l’Association nationale des élus de la montagne qui, le 16 avril, suite à la réunion de son comité directeur, s’est elle aussi élevée dans un communiqué  contre, principalement, le seuil de 20.000 habitants auquel n’échapperont pas “les EPCI qui incluent au moins une commune de plaine”. Et puis il y a eu l’Association des maires ruraux de France qui a rassemblé samedi 18 avril une cinquantaine de ses représentants devant le Conseil constitutionnel pour un “flash mob” de défense de la commune…

Un article publié sur Localtis le 21 avril 2015

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