L’avenir des fonds structurels pour les régions françaises après 2006[1] est aujourd’hui très improbable ; cette perspective ne peut que légitimement inquiéter les territoires français qui se sont organisés, notamment à la suite des Lois Chevènement et Voynet, pour être en capacité de mener des projets de développement. Rappelons en effet que ces fonds représentent pour la période actuelle 2000-2006 (correspondant aux Contrats de Plan Etat-Région) l’équivalent de l’apport des différents ministères français : 15,6 Mds€ face à 17Mds€ de crédits d’Etat. Or comme l’a bien souligné un rapport sénatorial[2], la pérennisation de l’actuel objectif 2 d’accompagnement des mutations régionales constitue la principale variable d’ajustement du futur budget européen.
UNE TRIPLE MENACE
1) Les fonds européens pour le développement régional sont d’abord menacés par les limites budgétaires posées pour l’après 2006 : la lettre signée par 6 Chefs d’Etats[3] (dont J. Chirac) demande un montant total du budget européen ne dépassant pas 1% du PIB, alors que la Commission est sur l’hypothèse du plafond de 1,24%[4]. Parallèlement, les auteurs d’un rapport d’économistes commandé à des proches de R. Prodi (Rapport Sapir, auquel a participé J. Pisani Ferry, ancien conseiller de D. Strauss Kahn au Ministère de l’Economie et des Finances), appellent de fait à renoncer à une authentique politique régionale européenne et à la remplacer simplement par une aide régionale aux seuls États membres défavorisés ; ils affirment que pour les autres, cela relève désormais des Etats : « il faut que dans une Europe plus diverse et plus inégale, les fonds destinés au développement régional soient concentrés sur les régions et les pays en retard plutôt que d’être saupoudrés : la France est assez riche pour prendre en charge sa cohésion territoriale, mais seule l’Union peut aider la Pologne ou le Portugal », n’hésitaient pas à écrire deux auteurs du Rapport peu après sa remise[5]. Or ces Etats sont désormais privés de capacités budgétaires, comme le soulignent trop les collectivités locales françaises contraintes de mobiliser leurs propres ressources pour aligner les contreparties nationales aux cofinancements communautaires et pallier au désengagement de l’Etat dans les Contrats de Plan Etat-Région (dont la disparition a été sérieusement envisagée par le Gouvernement Raffarin). Les Etats demandent donc désormais à la Commission Européenne de faire le même effort d’austérité au niveau européen que celui qui leur réclamé ; ainsi à la réunion des ministres des finances tenue en Irlande en mars 2004, le britannique Gordon Brown a estimé que la Commission ne pouvait à la fois demander aux Etats d’avoir une stricte discipline budgétaire nationale et en même temps augmenter le budget européen[6] : c’est l’arroseur arrosé ! Comme le résume un chercheur de l’Institut français des relations internationales (IFRI)[7] , « nous vivons en pleine contradiction. D’un côté, la Commission attaque en justice les principaux pays de la zone euro pour n’avoir pas respecté ses prescr1ptions d’économies budgétaires à un ou deux dixièmes de pourcentage de PIB près. De l’autre, elle demande à ces mêmes Etats un effort considérable en faveur des pays entrants. D’un côté, la zone euro vit dans l’obsession de la stabilité des prix et du corset budgétaire. De l’autre, l’élargissement lui fournit l’occasion d’une stimulation keynésienne de l’économie. Peut-être faudrait-il les conséquences de cette contradiction et défalquer des engagements du pacte de stabilité les contributions nettes des Etats membres au budget communautaire. »
2) Les fonds européens sont ainsi victimes de l’absence de croissance résultant des critères étroits du Pacte de stabilité et de la rigidité de la Banque Centrale Européenne… Peu remarquent que la question du budget communautaire –assis sur un pourcentage du PIB- peut être desserrée par une croissance plus forte, comme vient de le rappeler le récent rapport de parlementaires en mission, M. Laffineur et S. Vinçon[8] : « L’impact de la croissance sur le montant du budget communautaire est déterminant. Cet argument, pourtant élémentaire, est souvent occulté : la croissance génère des marges importantes de progression de la dépense communautaire[9]. L’effet de la croissance des Nouveaux Etats Membres sur le budget communautaire est réduit, étant donné le faible poids des 12 NEM dans le PIB total de l’UE (5,5% sur un total de 10.046 Mds € en 2004) ». Selon leurs calculs (cf. tableaux du rapport Laffineur-Vinçon, pages 132 et 133), dans un budget à 1% du PNB, le doublement du taux de croissance des NEM n’entraîne une augmentation du budget communautaire que de 1 Md € par an, cependant qu’un point de croissance de plus au sein des Quinze accroît le budget communautaire de 6,5 Mds €, soit autant de crédits qu’une hausse de 0,6% du plafond.
3) Les fonds structurels sont enfin menacés par le parti-pris libéral de la mobilité régionale : En fait, cette politique de solidarité régionale heurte les postulats de l’ultra-libéralisme, comme le soulignent des chercheurs de l’OFCE[10]: « Le principal grief fait aux politiques européennes et nationales actuelles en matière de politiques régionales et structurelles est qu’elles freinent la mobilité des facteurs et entravent donc les ajustements ». A propos du Rapport Sapir, une note de la Fondation Notre Europe[11], présidée par J. Delors remarque également que « Lorsqu’ils s’aventurent sur le terrain social, les experts dérapent totalement. Ils ne font que ressortir les antiennes sur la mobilité géographique à laquelle s’ajoute un couplet sur la mobilité du travail (….) » et ajoute : « la mobilité du travail ne se distingue pas beaucoup de la flexibilité, concept fortement combattu par la plupart des Européens, car trop souvent synonyme de précarité et d’emplois de mauvaise qualité ». Le rapport 2004 de la Commission Européenne sur la Stratégie Européenne pour l’Emploi (SEE) confirme cette approche en indiquant que : « les actions visant à promouvoir la mobilité géographique restent trop timides et ont tendance à s’inscrire dans le contexte de la réduction des disparités régionales »[12] et que « s’attaquer à ces déséquilibres [régionaux] nécessite une combinaison équilibrée d’investissements dans la capital productif et humain et de réformes de marché du travail, telle une fixation des salaires qui tienne compte des conditions régionales et locales ».
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Quelques conclusions pour défendre les fonds structurels
On le voit donc, la défense des fonds structurels ne peut s’appuyer sur un débat stérile entre ceux qui considèrent que les politiques redistributives doivent être « renationalisées » et ceux qui les défendent au nom du « rapprochement de l’Europe et des citoyens » ; à ce dernier argument souvent porté par différents euro-régionalistes, les économistes sociaux-libéraux répondent désormais, à l’instar de J. Pisani Ferry : « ce que nous rejetons, c’est l’argument selon lequel l’Union Européenne devrait s’assurer de l’adhésion des citoyens en redistribuant largement les aides régionales, sans autre critère que celui de la maximisation de leur impact politique. »[13]…
1) La pérennisation de fonds communautaires pour les régions de l’Ouest européen est nécessaire afin d’appuyer leurs mutations, surtout dans un contexte d’accentuation des concurrences résultant d’un élargissement (réalisé dans des conditions qui tirent les standards sociaux vers le bas) et de mondialisation sauvage (qui devrait conduire à rouvrir le débat sur la dose de protection nécessaire à l’échelle communautaire, non dans un souci d’égoïsme européen mais pour assurer l’amélioration des conditions sociales et environnementales pour l’ensemble de l’humanité). Mais les fonds structurels ne contribueront effectivement à une économie performante (RDT, etc…) que si une politique monétaire, budgétaire et industrielle, favorable à la croissance est activement recherchée à l’échelle européenne, alors qu’est patent l’échec de la Stratégie dite de Lisbonne (2000)[14] affirmant qu’ « un taux de croissance économique moyen de 3% environ devrait être une perspective réaliste pour les années à venir ».
2) Le maintien des Fonds pour nos régions doit aussi procéder d’une approche solidaire et de rééquilibrage au profit des régions les plus « handicapées », alors que « si la solidarité est toujours dans les discours, elle semble s’effacer au profit de la performance »[15]. Selon la Commission Européenne, l’actuel objectif 2 bénéficiant à nos régions doit être transformé en un « objectif compétitivité » négocié sur la base de programmes régionaux choisissant dans un carte de thématiques communautaires et privilégiant les appels à projets ; si la proposition de la Commission présente l’avantage de mettre fin à un zonage parfois arbitraire et si les appels à projets sont utiles pour susciter des approches innovantes, il existe un risque,comme le remarque la revue Confrontations[16] « d’encourager le développement des régions riches en augmentant leur avantage comparatif en Europe, plutôt que d’accroître la convergence. En effet, les zones en déclin du nord-est de la France n’auront pas forcément la même capacité que celle d’Ile-de-France d’impulser des projets visant le développement de la société de la connaissance par exemple. L’AFCCRE craint que l’on passe d’une logique de solidarité à une logique de compétition. On ferait alors des « régions championnes ». L’inquiétude des associations est d’autant plus importante qu’au nom de la mise en cohérence de la politique de cohésion avec celle de concurrence, une réforme des aides d’Etat est prévue. Elles doivent s’inscrire dans un cadre visant une diminution générale et proportionnée de toutes les aides à finalité régionale. Celles concernant les régions en retard de développement seraient maintenues, mais toutes les autres devraient répondre aux objectifs horizontaux de « l’objectif compétitivité».
3) Il convient enfin de se donner les moyens financiers non seulement en visant une croissance retrouvée mais aussi par des instruments permettant de sortir du marchandage budgétaire entre Etats ; à cet égard, il faut mettre à l’ordre du jour la piste de ressources propres du budget européen, assises sur une fiscalité spécifique (impôt sur les sociétés, taxe sur la spéculation financière ou sur les émissions polluantes…), ce qui serait aussi de nature à aller vers l’harmonisation fiscale nécessaire.
[1] Pour une présentation résumée de l’état actuel de la question, voir par exemple Gwénaël Doré, Architecture future des fonds européens, les propositions de la Commission européenne, Intercommunalités, mars 2004 et Politique européenne de cohésion, difficile négociation budgétaire, Intercommunalités, avril 2004, www.intercommunalités.com
[2] Yann Gaillard et Simon Sutour, Rapport d’information de la Délégation pour l’Union Européenne sur les perspectives d’évolution de la politique de cohésion après 2006, Sénat, annexe au procès verbal de la séance du 5 février 2004, rapport n° 204
[3] Reproduite dans le rapport d’information du Sénat, op.cit.
[4] Cette approche est partagée par une grande partie des dirigeants et hauts fonctionnaires français : ainsi lors d’un débat télévisé animé par C. Ockrent pour les élections régionales avec le futur ex-ministre de l’aménagement du territoire (aujourd’hui médiateur et remplacé par un secrétaire d’Etat), S. Royal était restée très frileuse sur le sujet et sur une position très proche de Bercy, contrairement à nombre de ses amis fervents euro-régionalistes. Ne doutons pas que la nouvelle présidente de conseil régional saura adapter sa posture à sa nouvelle fonction. N. Sarkozy[4] a rappelé fermement l’exigence de 1% au dernier Conseil des Ministres des Finances, alors que le promoteur des propositions de la Commission est devenu Ministre des Affaires Etrangères, mais peut-être sera-t-on rassuré par la fermeté affirmée par le nouveau Commissaire, J. Barrot, lors de son examen de passage devant le Parlement Européen : « Dans les Etats membres, il y aura des réticences, mais il faudra tenir bon… ».
[5] Jean Pisany-Ferry et André Sapir, Restructurer le budget européen, Libération, 26 août 2003
[6] Aranud Leparmentier, Contre Michel Barnier, Nicolas Sarkozy veut limiter le budget de l’Union, Le Monde, 7 avril 2004
[7] Maxime Lefèvre, Europe : qui va payer ?, Les Echos, 26 avril 2004
[8] Marc LAFFINEUR, Serge VINCON, Les perspectives financières européennes 2007-2013, La Documentation Française, février 2004
[9] La stabilisation des dépenses à leur niveau actuel de 1% du RNB[9] se traduit par une progression de plus de 15% des crédits entre 2007 et 2013 (sous les hypothèses de croissance médianes retenues par la Commission, soit +2,3% en moyenne sur 7 ans)
[10] Jacques Le Cacheux et Henry Sterdyniak, Comment améliorer les performances économiques de l’Europe ?, revue de l’OFCE, octobre 2003
[11] Marjorie Jouen, Le programme du rapport Sapir : pour un grand marché à solidarité limitée, 2003, www.notre-europe.asso.fr
[12] rapport de la Commission européenne sur la mise en œuvre de la stratégie européenne de l’emploi, page 8
[13] Philippe Aghion, Jean Pisani-Ferry, Réponse à nos procureurs, Revue de l’OFCE , janvier 2004
[14] La Stratégie dite de Lisbonne, du nom du conseil tenu au printemps 2000, a « fixé un nouvel objectif stratégique pour la décennie à venir : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale »[14] …), un objectif encore loin d’être atteint[14] : en effet, la stratégie de Lisbonne précisait qu’ « un taux de croissance économique moyen de 3% environ devrait être une perspective réaliste pour les années à venir » et souhaitait « porter le taux d’emploi (alors de 61% en moyenne) à un niveau aussi proche que possible de 70% d’ici à 2010 et à faire en sorte que la proportion de femmes actives (alors de 51% en moyenne) dépasse 60% d’ici à 2010 »…
[15] Jean-Claude Bontron, SEGESA, Quelle stratégie pour la nouvelle politique de cohésion, in Mario Dehove (dirc.), Le nouvel état de l’Europe, La Découverte, 2004
[16] Nathalie Lhayani, Nouvelle politique de cohésion, Confrontations, février-mars 2004
Auteur : Olivier Dulucq