Trois phrases et une poignée de secondes : le big bang tant attendu n’aura pas marqué plus que cela le discours « historique » du Président de la République devant le Parlement (22 juin 2009). D’une certaine façon, la métaphore du big bang est respectée : une explosion, suivie d’un déploiement infini dans le vide sidéral. « Nous irons jusqu’au bout » a dit cependant le Président : cette fois l’évocation de ladite théorie laisse rêveur. Le bout de la réforme, c’est comme l’infini : l’horizon en est un peu fuyant L’affaire est malgré tout sérieuse, mais elle l’est plus fondamentalement par les détournements de sens qui se préparent, que par les effets de transformation qui s’en suivraient. Réduire de moitié le nombre d’élus régionaux et départementaux, en quoi cela améliorerait-il l’efficacité de la dépense publique locale ? Priver de la compétence générale Régions et Départements, seules collectivités qui sont vraiment en capacité de l’exercer (outre les grandes intercommunalités urbaines), en quoi cela renforcerait-il la décentralisation ? Renoncer cette fois encore à annoncer la seule décision qui obtiendrait aujourd’hui un quasi-consensus, à savoir l’élection au suffrage universel direct des élus communautaires, en quoi est-ce que cela rapproche la réforme d’un « jusqu’au bout » ? Jusqu’au bout ? Encore un effort Monsieur Le Président ! Les atermoiements et les fausses routes révèlent ce que le rapport de la commission Balladur tentait de masquer : il n’y a pas d’accord politique, entre la Droite et la Gauche, mais aussi entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux, comme en leur sein, sur les enjeux de fond d’une réforme territoriale, ni même sur le diagnostic qui la précéderait. On se retrouve à bon compte sur la sempiternelle dénonciation du « millefeuille » et son « on n’y comprend plus rien » ; on partage l’angoisse quant à l’asphyxie des finances publiques en temps de récession (mais pas forcément l’analyse des causes de l’asphyxie) ; on relaie benoîtement le trouble citoyen à l’égard des institutions en s’exprimant à sa place plus qu’en l’écoutant. Mais au fond, quels sont les rendez-vous historiques ? La France est celle confrontée à une organisation territoriale « trop compliquée », ou bien plutôt à son incapacité (espérons-là passagère) à s’adapter à la complexité contemporaine d’un monde de mobilités à toutes échelles où il faut apprendre à partager les souverainetés ? Sommes-nous inutilement dépensiers et gâcheurs d’argent public (le nôtre), ou bien plutôt confrontés à des défis collectifs qui invitent à décupler les efforts solidaires ? Y a-t-il vraiment trop d’élus locaux, ou bien plutôt pas assez de démocratie et d’intervention citoyennes ?
On peut désormais résumer l’agenda gouvernemental de la réforme des collectivités locales en cinq mauvais points et leur opposer cinq vrais rendez-vous. Vrais et faux agendas de la réforme des collectivités locales
Cinq rendez-vous historiques :
– Organiser l’interterritorialité par les partages de pouvoir
– Régénérer la démocratie par la citoyenneté active
– Gouverner l’espace mobile en redonnant les réseaux à la République et garantir l’équité des accès
– Inventer les nouveaux champs fiscaux d’un pays hypermoderne où la richesse est circulation
– Ménager les territoires dans la durée plutôt que les managers dans la compétition
Cinq réponses gouvernementales :
– Simplifier le mille feuille des territoires
– Réduire le nombre d’élus locaux départementaux – régionaux
– Rationaliser et réduire la dépense publique locale
– Réformer la TP
– Être compétitifs à l’échelle de l’Europe par des collectivités plus puissantes
Veut-on aller « jusqu’au bout » ? Alors, c’est dans le premier groupe qu’il faut aller ouvrir des chantiers nouveaux, le second relevant plutôt de la tactique électorale, de l’acharnement technique sur fiscalité moribonde, ou de l’antienne idéologique. À moins que le « jusqu’au bout » ne désigne le repli général de l’action et des politiques publiques au profit des réponses par le marché, auquel cas l’agenda du moment est cohérent. À partir de là les chantiers nouveaux d’une véritable réforme territoriale interpellent deux systèmes : celui, institutionnel, des gouvernements locaux en place, tels qu’ils exercent leurs compétences et leurs capacités. C’est le système auquel se sont consacrés le comité Balladur et ses suites (projet de « loi Marleix »). On peut l’améliorer, mais face aux rendez-vous historiques, il a ses limites. Celui, fonctionnel, de la gouvernance territoriale, telle qu’elle balbutie actuellement les règles et les modalités d’un pilotage partagé de l’action publique territoriale. C’est le système dont il n’est jamais question, parce qu’il modifierait en profondeur l’exercice politique de l’intérêt collectif. C’est pourtant là que l’avenir se joue. Progrès, patinages et limites de la réforme territoriale par les institutions Quelque chose a bougé à travers les débats relancés par le comité Balladur, et des idées nouvelles font actuellement leur chemin : celle d’une différenciation territoriale qui autoriserait enfin la France à sortir du « jardin à la française » pour adopter des dispositions de gestion de la chose publique qui ne soient pas forcément partout les mêmes ; celle, qui prolonge la précédente, de couples de territoires (Département-Région, Communauté-Département, Communes-Communauté) dont il s’agit d’organiser ici ou là les articulations (et on s’approche alors de l’autre système, celui de la gouvernance) ; celle qui découle forcément des deux premières et qui consiste à reconnaître justement un quatrième niveau de collectivités locales en France, le niveau communautaire (preuve, s’il en était besoin, que l’avenir ne sera pas dans la simplification, mais bien dans la complexité). D’autres pistes de changements en sont encore au stade de l’enlisement et révèlent l’inertie du système : on s’obstine sur le « partage des compétences », entendu comme leur stricte répartition, alors qu’il est de plus en plus évident qu’on ne peut plus travailler dans les territoires que par des « compétences liées » ; on ne s’attarde guère sur le renouveau démocratique au sein des instances représentatives, alors que les citoyens les ont bien identifiées comme vide d’enjeux démocratiques ; on ne s’autorise pas l’innovation fiscale pour taxer les « richesses circulantes » et on s’épuise à traquer les stocks immobiles des « quatre vieilles ». Pour une part, ces changements seraient réalisables au sein du monde des collectivités tel qu’il est. Mais pour l’essentiel, ils le débordent, dans tous les sens du terme.
Trois chemins pour aller « jusqu’au bout » de la gouvernance territoriale Tant qu’à invoquer le big bang et l’audace jusqu’au-boutiste, ouvrons des perspectives nouvelles :
Celle de l’invention des règles de la décision partagée, dans ce qui deviendrait une sorte de fédéralisme interterritorial, avec ses cadres, ses codes et ses « bonnes pratiques » de la diplomatie locale : finissons-en avec les fiefs, même décentralisés, organisons les « rendre comptes » croisés entre exécutifs locaux, donnons rendez-vous aux citoyens sur ces nouvelles scènes où personne ne pourra plus accaparer le pouvoir !
Celle du passage d’une division technique de l’action publique par champs de compétences, à une répartition politique des rôles dans la conduite de l’action publique (délibération, con
ception, gestion, évaluation) : sortons des fausses chasses gardées techniques par niveaux de territoires, organisons des chefs de files coordonnateurs par fonctions politiques, multiplions les cadres souples de la conduite interterritoriale de projet !
Celle du libre agencement des territoires tels qu’ils existent en des configurations différenciées, qui leur permettent d’engager de nouvelles politiques publiques dans des géographies qui les dépassent (comme la politique « énergie / mobilité ») : abandonnons la quête des périmètres intégrateurs toujours plus amples et sa croyance souverainiste, et ouvrons le chantier urgent de l’inter territorialité où se joueront, demain, les conditions de l’efficacité d’une action publique de son temps !
Intervention de Martin Vanier lors du séminaire de l’Unadel consacré à la gouvernance locale. Martin Vanier est professeur de géographie et aménagement à l’université de Grenoble, Directeur d’études Acadie, auteur notamment de l’ouvrage « Le pouvoir des territoires »