Article paru dans l’excellente revue Territoires de février 2006

L’actualité de la modernisation de l’État ces dernières semaines laisse songeur. Les signaux se multiplient et l’on n’arrive pas bien encore à en percevoir le sens.
De disparition du Commissariat général au Plan en désagrégation de la Dies (Délégation interministérielle à l’économie sociale et à l’innovation sociale), de transformation de la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) en Diact (Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires) en fusion de la Div (Délégation interministérielle à la ville) et du Fasild (Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations) au sein de la nouvelle Agence nationale pour la cohésion sociale, on assiste à une profonde mutation de l’État, sans réel débat et sans que les attendus de ces transformations soient annoncés.
Cela laisse ouverte la porte à toutes les craintes, aux fantasmes, voire aux dénonciations systématiques. Au sens commun, on pourrait y voir une réduction de la voilure, anticipant les réductions budgétaires drastiques et les prochaines rigueurs. Mais il n’en est rien. En effet, il ne s’agit pas de réaliser des économies en fermant telle ou telle officine gouvernementale ; on assiste plutôt à une reprise en main, probablement à un nouveau management de l’action publique. La seule chose qui soit sûre est que le fantôme du général De Gaulle ne fait plus trembler ni Matignon, ni l’Élysée. Du Plan, créé en 1946 sous l’impulsion conjointe de Monet et De Gaulle, à la Datar, créée en 1963 par Olivier Guichard et le même général-président, les tabous sont levés : tout passe, tout casse, tout lasse…

D’abord, d’en haut
En s’inspirant fortement d’un article paru dans la revue Esprit de novembre 2005, sous la plume de Renaud Epstein, chercheur en sciences politiques à l’École normale supérieure de Cachan, on peut voir là la tentation de l’État de gouverner à distance. Il s’agissait d’illustrer, par l’exemple de la rénovation urbaine, une notion inventée par Michel Foucault : celle de nouvelle gouvernementalité. En ce qui concerne l’aménagement du territoire, nous avions eu la figure de l’État omnipotent qui, de Paris, gérait, avec sa cohorte de hauts fonctionnaires frais émoulus de l’École nationale d’administration, le désert français. L’intérêt général était déterminé d’en haut, planifié et mis en œuvre assez uniformément sur le territoire. Puis, il y a eu la prise de conscience de l’existence de territoires, tout à la fois pluriels et singuliers qui résistaient à cette mise en musique parisienne. Soit parce qu’ils s’en sortaient mieux que les moyennes statistiques nationales, soit parce qu’ils continuaient à s’enfoncer dans les crises économiques ou de désertification, mettant à mal le dogme de l’égalité territoriale. Nous avons connu alors l’émergence de collectivités territoriales ” tampons “, une décentralisation et, surtout, une phase de contractualisation entre un État déconcentré et des territoires légitimés.
Nous ne savons pas encore si c’est conjoncturel ou s’il s’agit d’un mouvement plus ample, mais il semble bien que l’État cherche à (re)piloter les territoires, par appels à projets qui, à défaut de les rendre spontanément compétitifs, les mettent pour le moins en concurrence. Nous sommes ainsi concrètement dans une phase libérale où l’art de mieux gouverner serait celui de moins gouverner, constituant ainsi une autocritique de la raison gouvernementale.

Maintenant, par dessus ?
Car, il y a bien changement d’époque quand la nouvelle Diact propose de contractualiser directement avec les territoires, l’Agence nationale de la rénovation urbaine faisant de même avec les municipalités, passant au-dessus des départements et des régions qui avaient pourtant été mobilisés dans les politiques précédentes. Ce qui fait sens commun est que ces relations ne transitent pas par les administrations déconcentrées.
L’État rentre en contrat avec les territoires sans les Sgar (secrétariats généraux aux affaires régionales), comme il contractualise avec les communes pour détruire et reconstruire sans les directions de l’équipement ou du logement. C’est un État apparemment à nouveau en première ligne, sans collectivités intermédiaires, mais aussi sans ses propres administrations.
Les nostalgiques s’émeuvent des disparitions programmées de telle délégation ou de tel Commissariat, mais ce qui interroge peut-être le plus, c’est la non réforme des appareils administratifs et leur substitution, pour l’essentiel de l’action publique, vers des agences, pour la cohésion sociale, la recherche, la sécurité routière, le financement des autoroutes, la rénovation urbaine, etc.
Or, ce sont des objets validants non identifiés ! Ils valident ou invalident tel projet local, telle initiative privée ou publique, sans que le citoyen sache très bien qui les dirige, les contrôle, les évalue1. Les financements susceptibles de ” retomber ” sur les territoires dépendent exclusivement de ces agences, et il ne s’est donc trouvé que fort peu d’élus pour courir le risque de, dénoncer cette gestion des fonds publics, au risque de desservir sa circonscription, laissant pourtant en friche un débat de fond essentiel, celui de la réforme de l’État.

odulucq.unadel@wanadoo.fr

1 Voir ” La rénovation urbaine sera-t-elle évaluée ? “, interview de Patrick Doutreligne, Territoires n°460, septembre 2005.

Auteur : Olivier Dulucq

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