Jean-Claude Mairal est adhérent et compagnon de route de l’Unadel depuis longtemps. Instituteur, philosophe, auteur, responsable politique engagé au parti communiste (ancien président du département de l’Allier et conseiller régional d’Auvergne), président du Conseil de Développement du Pays de Vichy, co-président du Think-Tank international-laboratoire d’idées I-Dialogos.

En nous adressant sa dernière contribution sur le phénomène de la victimisation, il indique qu’il est « intimement persuadé que l’avenir passe par les territoires et la mobilisation des acteurs de ceux-ci et des citoyens ». Ce libre-propos n’engage évidemment que son auteur. Il a le mérite de revenir à nouveau sur l’esprit de résistance qui nous accompagne dans le monde associatif et dans le développement local : sachons nous prendre en main : ne soyons pas des victimes mais des résistants !

La victimisation, ce mal français mortifère pour la nation

Madeleine Riffaud, grande Résistante :“On avait un message à transmettre, celui de l’esprit de la Résistance: Ne jamais pleurer sur l’état de son pays ou sur son propre sort…. JE NE SUIS PAS UNE VICTIME.  JE SUIS UN RÉSISTANT. C’est en gardant ça en tête que les gens ont tenu dans les prisons de la Gestapo, les maquis ou les camps de concentration. Cette formule peut s’appliquer à tous les aspects de la vie. C’est une vérité  universelle, une manière universelle d’appréhender les événements.”

Je ne cesse inlassablement de répéter depuis de nombreuses années, ces paroles de Madeleine Riffaud qui ont été celles de tous les Résistants. Elles devraient guider toutes celles et tous ceux qui agissent pour l’émancipation et la transformation sociale qui ne peuvent absolument pas s’accommoder avec une victimisation généralisée de la société.

La victime, qu’elle soit de guerres, de catastrophes, de faits divers, d’accidents du travail, d’étudiants sans logements ou de personnes âgées du monde rural sans médecin ou autres, est chaque jour omniprésente dans les médias. La notion de victime est mise à toutes les sauces, sans aucune hiérarchisation. La noyade de migrants en Méditerranée, les bombardements et les morts en Ukraine ou en Palestine, côtoient dans un même journal télévisé, un jeune tué dans une cité, une femme assassinée par son mari, un acte pédophile, une atteinte à la nature, les dégâts d’une tempête et de pluies diluviennes ou un jeune obligé de se rendre au restau du cœur pour se nourrir. Désormais un fait divers, certes dramatique, mais qui reste un fait divers devient fait national durant plusieurs jours, voire plusieurs semaines ou mois et fait la une des médias. Alors qu’une découverte scientifique importante pour la vie des citoyens, est traitée comme un fait divers, souvent en quelques secondes ou quelques minutes. Un renversement des valeurs !

On entasse les faits, comme en entasse des briques, sans une graduation des événements et une distanciation vis-à-vis de ceux-ci. Comment peut-on mettre sur le même plan, les guerres en Ukraine, au Moyen-Orient, en République du Congo et ailleurs et leurs millions de victimes, ainsi que celles des catastrophes comme on vient de le voir en Espagne, avec un fait divers certes dramatique, mais qui n’est qu’un fait divers ! C’est pourtant le traitement de l’information auquel nous assistons régulièrement dans les grandes chaînes de télévisions et dans les radios.

Dans son livre, « Du héros à la victime : la métamorphose contemporaine du sacré », François Azouvi, philosophe, directeur de recherche au CNRS écrit, « A l’héroïsme nous préférons, explicitement ou implicitement, la victime……Nous sommes entrés, c’est une banalité de le dire, dans ce que plusieurs auteurs nomment « l’ére de la victimisation », « la société des victimes », « le temps des victimes », le « devenir victimaire de l’Humanité », le temps de la « concurrence des victimes », pour ne citer que quelques-uns des essais consacrés au régime victimaire qui prévaut désormais dans nombre de pays occidentaux. ». Il notait à juste titre, « Toute l’Histoire occidentale était faite du récit des vies héroïques », ce qui a bercé l’enfance et l’adolescence de ma génération. Adolescent, mes héros  étaient le Docteur Albert Schweitzer médecin à Lambaréné au Gabon, Gagarine et la conquête spatiale, sans parler de mon père et de mes oncles, résistants, l’infirmière de ma commune qui s’était interposée au risque de sa vie, face aux soldats allemands pour éviter une rafle, Sain-Just et les héros de la révolution française, Che Guevara, etc.« Aussi écrit François Azouvi, ne serait-il venu à l’idée de personne, autrefois, de désirer être une victime et aucun livre d’édification n’aurait inversé la hiérarchie qui faisait du héros de qu’on rêvait de devenir ».  Ce n’est plus le cas aujourd’hui !

Un tel traitement de l’information distillée quotidiennement par les médias (les faits divers morbides, les guerres, les aléas climatiques, etc) ne peut que générer des peurs, de l’angoisse permanente, entraînant des attentes fortes vis-à-vis de l’Etat pour faire face à toutes ces peurs et du ressentiment si celui ne répond pas aux demandes de personnes ou de collectifs qui se considèrent comme des victimes, à qui on doit réparation.

De ce fait tout le monde peut se sentir victime de quelqu’un, de quelque chose ou de systèmes, etc.

Prenons l’exemple des jeunes français des cités, dont certains par les drames générés, font la une de l’actualité. Trop souvent certaines associations et personnalités politiques enferment les jeunes originaires du Maghreb ou d’Afrique, dans la victimisation. Ils seraient les victimes du colonialisme, de la relégation sociale, des non politiques de l’Etat central à leur égard, etc. Ce n’est pas complétement faux, mais en les confinant entièrement dans cette position, on les cantonne dans cette vision que l’on nomme « No future ». On les emprisonne dans une case, dans l’espace qui leur semble protecteur et où ils peuvent exister, c’est à dire leur quartier. Avec le recours pour certains jeunes à la religion et/ou à la bande  qui leur donnent un cadre identitaire et leur permet d’exister y compris par la violence et le rapport à la drogue.

Prenons le député LFI  Andy Kerbrat interpellé en train d’acheter de la drogue. Pour Sandrine Rousseau, «  ce n’est qu’une pauvre victime de son addiction ». On croit rêver ! Deux parlementaires chargés d’élaborer la loi et qui devraient être exemplaires de par leur fonction, acceptent qu’un député achète et consomme de la drogue. Alors que la France est aux prises partout, en milieu urbain comme en milieu rural, à une explosion des points de vente de la drogue, avec la guerre des gangs et les morts que cela génère, il y a de la part de ces députés, une dose certaine d’irresponsabilité.

Prenons les contraventions routières par les radars. Combien de fois n’ai-je pas entendu des propos de personnes verbalisées et se disant victimes d’un racket de l’Etat. Là aussi on croit rêver !

Ce ne sont là que quelques exemples, parmi d’autres, mais qui tous s’inscrivent dans la logique de la victimisation et donc de l’irresponsabilité, puisqu’une victime ne peut pas être considérée comme responsable de sa situation.

La victimisation est le contraire de la citoyenneté, de la dignité et de la responsabilité individuelle et collective. En niant la responsabilité individuelle des individus on nie leur humanité et leur citoyenneté. Car il n’y a pas de responsabilité collective d’une société, s’il n’y a pas la responsabilité individuelle de chaque personne.  Cette idéologie victimaire a gangréné le corps social,  éloignant nombre de nos concitoyens de l’action et de la lutte pour l’émancipation sociale, seule à même de leur permettre un avenir meilleur. Etre dans une société où l’idéologie de la victimisation irrigue les consciences, enferme celles et ceux qui auraient le plus intérêt au changement social, non à l’action, mais à la passivité, au repliement sur la sphère privée ou communautaire, à l’attente d’un Président ou d’une Présidente qui réglerait leurs problèmes, ou aux dérives mortifères de la violence, des trafics en tout genre, etc.

A tous nos concitoyens, nous devons leur dire « Ne vous laissez pas enfermer par les chantres de la stigmatisation et de la victimisation ».  Le Pays, votre territoire de vie, votre famille ont besoin de vous. Quelle que soit votre situation, votre métier, vous avez tous des potentialités et de l’intelligence à faire valoir et à développer pour être utiles à votre pays. Soyez un citoyen responsable, écouté et respecté, c’est un enjeu majeur pour l’avenir de notre pays, pour votre avenir.

Après la citation en introduction, de Madeleine Riffaud, concluons par celles de deux personnalités au parcours différents qui lancent le même appel

Joseph Wresinski dans son « appel à la solidarité » d’ATD Quart Monde du 17 novembre 1977, qui déclarait « Etre responsable, pour vous, ce sera d’abord continuer à vous former, à vous instruire, à vous regrouper, pour réfléchir sur votre condition, pour exiger une école adaptée à vos enfants, un travail qui vous rende indépendant et qui garantisse aux vôtres, une vie décente… Etre responsable, c’est aussi rejoindre les associations familiales, les associations de parents d’élèves, les comités de locataires, les syndicats, les partis politiques ».

André Valadier jeune dirigeant paysan dans l’Aubrac, qui avec d’autres paysans relance au début des années 60, la production du fromage Laguiole et la race Aubrac, en créant la coopérative “jeune montagne”. Pour lui, refusant la posture du déclin et de la dépendance, “Il y a deux manières de réagir par rapport au handicap. Soit on insiste sur les faiblesses, on abonde dans le sens du handicap et on demande l’aide. Soit on puise dans la difficulté l’énergie d’entreprendre pour dépasser les handicaps…Ce sont deux cultures; soit on choisit la dépendance absolue, soit l’on choisit de se prendre en charge pour valoriser son territoire.” (“Etre d’ici et du monde. Le Massif central, un espace pour entreprendre”, Laurent Marty, éditions DATAR Massif central -1995)

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