La société future à laquelle nous aspirons ne résultera pas seulement d’un changement institutionnel ou d’un changement de fonctionnement des institutions. Il est aussi, il est surtout nécessaire de procéder à une véritable révolution culturelle concernant aussi bien les pouvoirs de toute nature que les citoyens eux-mêmes.

Par Georges Gintcharoff, administrateur de l’Unadel (et pour en débattre!)

Il s’agit vraiment d’une « révolution », au sens copernicien du terme, un renversement total à 180°. Nous sommes les victimes quotidiennes des excès de la verticalité et de la décision uniforme et impérieuse de Jupiter. Le mouvement du développement local défend depuis toujours le passage d’un système descendant, des pouvoirs vers le citoyen, à un système, ascendant, des citoyens vers les pouvoirs et prône la rencontre des deux mouvements dans des choix négociés et contractualisés. 

La nécessaire réforme des administrations.

Cette pétition de principe entraîne d’abord une profonde réforme de toutes les administrations, étatiques, locales ou spécialisées. Cette réforme comporte une réduction drastique des normes que les administrations sont chargées d’appliquer. La folie normative doit cesser. Le dernier exemple emblématique d’inflation réglementaire a fait à la fois pleurer et rire : il s’agit de l’attestation de sortie du troisième confinement. Les administrations doivent passer de la méfiance initiale vis-à-vis de l’administré, nécessairement fraudeur, incompétent et inconscient, à une confiance à priori, n’excluant pas des contrôles a posteriori simplifiés. La capacité d’écoute et l’attention aux cas particuliers des administrations doit être considérablement accrue. Des affaires récentes concernant des violences faites aux femmes ou aux enfants illustrent, par exemple, à quel point les administrations sont peu ouvertes à l‘écoute des victimes. Les administrations des ministères doivent continuer d’être allégées au bénéfice des administrations étatiques déconcentrées, capables de négocier et de contractualiser avec les administrations des collectivités territoriales. Une déconcentration parallèle à la décentralisation est absolument indispensable. Il serait très bénéfique de redonner plus d’importance aux « administrations de mission », plus rapides, plus imaginatives, plus aptes à susciter ou à accompagner les initiatives créatrices des citoyens, par rapport à une « administration de gestion », plus lente, plus lourde, plus répétitive : sous-préfets développeurs, agences d’urbanisme, comité de bassins d’emploi, missions locales, circonscriptions d’action sanitaire et sociale, comité locaux d’insertion, etc…Les rapports humains, de personne à personne entre les administrations et les administrés ne peuvent pas être totalement remplacés par des rapports numérisés.

L’encouragement au pouvoir d’agir des citoyens. 

Voilà longtemps que l’on dit qu’il faut passer du citoyen passif, appelé à n’intervenir qu’au moment des élections, à un citoyen actif, encouragé à se mêler de toutes les questions qui le concernent, et à tout moment. Comme la participation citoyenne n’est pas spontanée, elle résulte d’une éducation active à la citoyenneté, dès le plus jeune âge, dans laquelle l’école publique doit retrouver le rôle majeur qu’elle a joué lors de sa création. Cette éducation se fait essentiellement par la pratique de la vie collective en milieu scolaire, l’apprentissage du « vivre ensemble ». Elle n’est pas une matière comme les autres, faisant l’objet d’une « instruction civique ». L’Éducation Populaire dont nous nous réclamons, agit autour et en prolongement de l’école publique. Elle doit être accompagnée, encouragée, pour lui permettre un renouveau indispensable. La libération de la parole et de la volonté d’intervention d’un plus grand nombre de citoyens et, en particulier, de la jeunesse, passe principalement par le truchement d’une vie associative reconnue dans sa liberté créatrice et son droit à l’expérimentation. Les interventions citoyennes les plus nombreuses se font dans une proximité qu’il faut encourager et sur des sujets concrets qui concernent la vie quotidienne : entreprenariat local, qualité du cadre de vie, circuits courts de la consommation, plans alimentaires, déplacements quotidiens, enseignement et éducation des enfants, solidarités de voisinage, déclinaisons locales du développement durable, transitions de toute nature… Ce sont autant de domaines dans lesquels les pouvoirs locaux doivent associer étroitement les initiatives citoyennes à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques. 

Ré-enchanter la politique.

 Toutes les études de terrain qui sont menées actuellement, et notamment les « écoutes citoyennes » conduites par l’UNADEL, montrent que les citoyens et les groupes de citoyens engagés n’ont jamais été aussi nombreux et dynamiques. Mais la plus grande partie d’entre eux sont totalement déconnectés du jeu politique traditionnel, n’envisagent pas de s’engager dans le pouvoir local, s’abstiennent même de voter. Ce sont les citoyens les plus conscients, les plus informés et les plus capables d’organisation collective qui manquent cruellement à la démocratie. Quelques exceptions ont conduit, notamment aux élections municipales de 2020, au montage de listes citoyennes qui mériteraient d’être mieux étudiées. Mais au délà, nous devons monter une réflexion très active et très urgente sur les causes et les formes les plus contemporaines de la désaffection à l’égard des partis et des hommes politiques, mais surtout de la politique en général. Et nous devons explorer les voies d’un ré-enchantement. 

Des structures pour la démocratie participative.

Le pouvoir d’agir citoyen passe aussi par des institutions et des procédures très diverses qui se sont heureusement multipliées ces dernières années : conseils de développement, conseils citoyens, comités de quartier, conventions citoyennes, commissions mixtes et ad hoc de toute nature et à tous niveaux, jurys, panels, budgets participatifs, etc… Il faut poursuivre et approfondir ce mouvement, en tirer le bilan en vue de l’améliorer et de retenir les formules les plus pertinentes. Des exemples étrangers sont toujours enrichissants. L’usage du tirage au sort pour formuler des recommandations ne peut être exclu. Mais ces lieux de participation citoyenne ne peuvent fonctionner que s’il y a des citoyens pour les remplir, dans la diversité d’âges et d’appartenances sociologiques, d’origines géographiques, de religions et de genre de notre pays. Nous n’avons pas encore assez réfléchi à la manière de faire rentrer le maximum de citoyens dans ce mouvement et surtout de les y fidéliser.

Toute structure publique doit obligatoirement être accompagnée d’un organe consultatif permettant aux citoyens individuels et aux citoyens organisés d’intervenir. Beaucoup de ces organes existent déjà. Il faut en tirer le bilan et éventuellement en améliorer le fonctionnement.

L’association constitue la forme la plus courante et la plus pertinente de la collectivisation de l’intervention citoyenne. Actuellement, les rapports entre les associations et les pouvoirs publics de tous niveaux ne sont pas satisfaisants. Le dernier accident grave est celui qui concerne la Fédération des Centre Sociaux. Il illustre la tentation permanente des pouvoirs de contrôler la vie associative, de l’utiliser, de l’inféoder, pour participer à leurs propres choix politiques, quitte à jouer le chantage aux subventions. Ce dossier très complexe doit être complétement remis à plat et les propositions citoyennes ne manquent pas. La liberté associative doit être défendue farouchement. 

Une construction inversée des pouvoirs et de compétences.

La révolution dont nous parlons implique aussi une réflexion sur le découpage du territoire et la répartition des compétences, si nous donnons la priorité à l’ascendant sur le descendant. Dans notre République une et indivisible, imbibée d’esprit jacobin, tous les pouvoirs sont au centre, les régaliens comme les non-régaliens. Depuis les lois de décentralisation de 1982, au travers de ses trois actes, l’État a consenti à transférer aux différents niveaux des collectivités territoriales, des compétences qu’il acceptait d’abandonner. Encore faut-il qu’il transfère simultanément les moyens financiers et humains de l’exercice des compétences transférées et que les Préfets et les services déconcentrés de l’État ne reprennent pas d’une main ce qui a été donné de l’autre. Bien des bénéfices de la décentralisation sont ainsi faussés et la dernière période est incontestablement marquée par une recentralisation larvée autoritaire. L’État ne joue pas le jeu.

Dans une vision inversée, tous les pouvoirs, toutes les compétences sont à la base. Le niveau géographiquement supérieur n’exerce que les pouvoirs et les compétences que le niveau géographiquement inférieur reconnaît dépasser sa capacité ou son ressort. L’analyse n’est pas forcément la même sur tout le territoire : d’où l’intérêt des compétences optionnelles qu’un pouvoir accepte de transférer à un autre niveau. Les négociations menées depuis de nombreuses années dans le cadre de la définition de « l’intérêt communautaire », c’est-à-dire la répartition négociée des compétences entre les communes et les intercommunalités, peuvent servir de modèle à des pactes locaux issus d’un dialogue concret et fructueux. 

Dans cette conception, le pouvoir de l’État n’est que résiduel : il ne s’occupe que des compétences que les collectivités territoriales reconnaissent comme relevant d’un autre niveau.

Cependant la décentralisation n’est pas sans poser des problèmes. Le premier est l’hostilité de tous les partis, de droite comme de gauche, en France, à toute dose de fédéralisme, au nom de notre tradition républicaine unitaire. Le second est lié à l’efficacité gestionnaire de la décentralisation. Par exemple, l’étude comparative de la gestion de la COVID en France et en Allemagne illustre à la fois les limites d’une gestion sanitaire confiée aux seuls Länder et celles d’une gestion confiée au seul État. L’Allemagne fédérale a dû accepter une dose de centralisme et la France a dû se plier à une dose de girondisme, au nom de l’efficacité des politiques publiques. La solution semble donc, au-delà de la stricte répartition législative des compétences, dans le dialogue institutionnalisé entre le haut et le bas et dans des politiques arrêtées en commun et contractualisées. Par exemple, des Agences régionales pourraient jouer ce rôle de dialogue et de synthèse, à condition qu’elles fonctionnent mieux que les Agences régionales de Santé actuelles. D’autres Agences de ce type pourraient être nécessaires dans d’autres domaines.

Vous avez dit territoire ? 

La notion de « territoire » suppose un sentiment d’appartenance, un sentiment d’identité qu’il n’est pas facile de mobiliser dans une société de la mobilité et de la proximité éclatée. C’est pourtant cette notion qui constitue la base du développement local et des projets de territoires. Il faut dire plus nettement comment améliorer cette situation.

Pratiquement, nous pouvons esquisser ici les différents échelons d’une réforme institutionnelle souhaitable.

Le problème récurrent du trop grand nombre de communes semble connaître un début de résolution avec le développement des « communes nouvelles », créées en 2010. Il faut encourager ce mouvement. Il faut aussi être attentif à l’action novatrice des « listes municipalistes » qui ont élues en 2020.

Il faut réformer, de fond en comble le découpage intercommunal après le gâchis de la réforme de 2010 et des lois qui ont suivi. Des intercommunalités à taille humaine, correspondant à des bassins de vie ou à des bassins d‘emploi retrouvent le découpage des « pays » ou des PETR. Les « pays » qui ne sont plus reconnus par l’État depuis onze ans continuent de vivre, ce qui est la preuve de leur pertinence et de leur ancrage démocratique. La refonte de ce réseau assure à la France un maillage territorial d’environ 400 structures vivantes, faisant l’objet d’une forte appropriation citoyenne. Les régions peuvent être considérées comme des fédérations d’intercommunalités. Les intercommunalités peuvent être considérées comme des fédérations de communes. Il faut revoir profondément les rapports entre les communes et les intercommunalités rurales ou urbaines.

Il faut avoir le courage, bien que nous soyons loin d’être tous d’accord là-dessus, de suggérer, au moins à terme, la disparition des départements, comme ne correspondant plus à la vie réelle du pays aujourd’hui. Les compétences du département peuvent être transférées vers le haut, vers les régions, ou vers le bas, vers les intercommunalités. C’est dans le dialogue entre les régions et les intercommunalités pour contractualiser des politiques locales que réside l’avenir.

Il faut réformer le découpage des régions pour mettre fin au désastre du découpage Hollande. Les régions doivent retrouver leur cadre culturel (par exemple l’Alsace), quitte à être plus nombreuses. L’économie qui devait être réalisée par la diminution du nombre de régions n’a été qu’une illusion. On a confondu la taille et le dynamisme dans la fausse doctrine qui régnait alors du « plus c’est gros, plus c’est efficace »

L’État pourrait être ramené à ses seules compétences régaliennes, à l’adoption d’une série de lois cadres, laissant une large place au pouvoir réglementaire local et à l’expérimentation. L’État a aussi vocation à contrôler le bon fonctionnement général du système. Nous estimons que les projets de loi en cours de discussion ou récemment adoptés ne vont pas encore assez loin dans cette direction de la « différenciation ».

Une nouvelle politique d’aménagement du territoire.

 Lors de sa création, la politique d’aménagement du territoire était essentiellement destinée à « redresser les déséquilibres » de la France de l’après-guerre : Paris et le désert français, la création des capitales d’équilibre dans les régions, l’attention aux villes moyennes, les contrats urbains (villes agglos quartiers…) aux côtés des contrats de pays… Depuis une trentaine d’années, la politique française d’aménagement du territoire a été contaminée par une vision venue d’outre-Atlantique : le tout urbain entraînant un rural, résiduel, la métropolisation inévitable, la sotte théorie du ruissellement. Notre pays a suivi à ses dépens, avec des dégâts considérables qu’il faut aujourd’hui mesurer et réparer. 

Cette tâche est considérable, car elle est multiple : révision des rapports entre le centre et les périphéries, requalification du péri-urbain, établissements de nouveaux liens interactifs entre l’urbain et le rural, le tout dans une obligation majeure de protection de la nature, de respect des équilibres naturels et de la biodiversité. 

Une telle option entraîne des changements culturels considérables. Elle impacte les pratiques agricoles, l’urbanisme, les modes de construction, les modes de déplacement, la place du tourisme de masse, la distribution de l’énergie et des liaisons informatiques…

Il ne semble pas que nous soyons actuellement sur la voie d’un tel changement. Raison de plus pour redoubler de conviction.

Une réforme de la fiscalité.

Cette réforme institutionnelle, à peine esquissée ici, doit s’accompagner, bien entendu, d’une profonde réforme fiscale, elle aussi placée dans l’esprit du mouvement ascendant. La part de l’État dans le produit fiscal global doit diminuer, à la mesure des compétences qu’il abandonne.

Il faut renouer avec la vieille règle républicaine : l’impôt local doit être voté par les élus locaux, redevables de la recette comme de la dépense devant leurs contribuables. Le vote des taux d’imposition est la marque majeure de l’autonomie locale. Il est inadmissible que le poids des impôts locaux, soit déterminé, même en partie, par l’État, ou que les impôts locaux soient redistribués par lui. La majorité des compétences étant gérée par les collectivités locales, il est normal que la majorité de l’impôt leur revienne. Par rapport à la fiscalité locale, l’État devrait être ramené à un rôle de contrôle de légalité.

Avec l’acte 1 de la décentralisation, la globalisation des subventions de l’État (DGF) aux collectivités locales a été un acte bénéfique essentiel. On en est revenu, malheureusement et peu à peu, à des subventions sectorielles, au cas par cas, principalement par le jeu des appels d’offre et des appels à projet. Cette situation est dangereuse, car elle permet aux collectivités locales riches et dotées d’ingénierie de répondre avec pertinence et de bénéficier des crédits, alors que les collectivités locales pauvres, dénuées de savoir-faire, restent à l’écart. Nous avons montré en maintes occasions à quel point ce système trop répandu était créateur d’inégalités territoriales.

Il y aurait, bien entendu, beaucoup d’autres choses à dire. Ce texte a pour but de susciter un débat au sein et autour de l’UNADEL et de ses partenaires. Nous avons à construire, démocratiquement, une proposition plus collective, notamment en direction des prochaines élections locales.

Georges GONTCHAROFF, membre du bureau, deuxième version, 4 avril 2021

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