Article paru dans la revue Transrural (n°474 de mai-juin 2019)

Claude Grivel, président de l’Union nationale des acteurs du développement local, revient sur le bilan de la mise en place des contrats de ruralité1.

“Le contenu des contrats dépend beaucoup de la capacité et de la volonté des hommes et des femmes de faire projet commun”

Dans quel contexte les contrats de ruralité ont-ils émergé ?

Claude Grivel : Il était une fois une ministre qui avait commandé il y a quelques années un rapport sur le thème de l’égalité des territoires2. Les ministres passent, les tiroirs gardent la mémoire des écrits et les fonctionnaires de quelques éléments de diagnostic, dont celui-ci : les politiques de l’État et de l’Europe servent d’abord les métropoles. La ruralité se sent abandonnée, voire maltraitée et réclame une politique dédiée. À un an des Présidentielles de 2017, le gouvernement décide d’agir et propose de signer avec les intercommunalités3 des contrats de ruralité pour programmer la réalisation d’actions dès 2017 et jusqu’en 2020, fin de la mandature municipale en cours, sans prévoir, au-delà des annonces, de financements spécifiquement dédiés.

Quel est leur sens général ?

C. G. : Qui dit contrat dit projection – comment se projeter dans un avenir désirable et avec quelles priorités ? – et engagement de l’État et du local sur des actions qui répondent à des objectifs communs. En filigrane, on retrouve la question de l’aménagement et du développement des territoires. L’enjeu est de sortir, par la contractualisation, des effets de clientélisme. C’est aussi un moyen pour l’État de cibler des priorités de financement selon quelques axes, en fléchant mieux ses dispositifs.

Quels sont ces axes et que permettent concrètement ces contrats ?

C. G. : L’État a proposé six axes d’investissement figurant dans une circulaire adressée par le Commissariat générale à l’égalité des territoires aux préfets : accès aux services et aux soins ; revitalisation des bourgs-centres ; attractivité du territoire ; mobilités ; transition écologique et cohésion sociale. D’où des projets de revitalisation de centres-bourgs, le soutien à la création de commerces multi-services ou de centrales photovoltaïques, l’adaptation de bâtiments publics aux normes d’accessibilité, le développement d’espaces de co-working ou l’aide à l’équipement numérique de zones d’activités. Peu de contrats comportent des actions sur la cohésion sociale et ils n’ont pas empêché la fermeture de certains services, comme des maternités…

Les intercommunalités se sont-elles engagées massivement ?

C. G. : 485 contrats de ruralité ont été signés, parfois avec des territoires qui contractualisaient pour la première fois. La question de la généralisation reste posée : on n’a jamais une proposition qui concerne tous les territoires. Ainsi, la contractualisation dépend beaucoup des relais locaux de l’État et de la capacité du territoire à se mobiliser dans un délai court avec des dossiers prêts à être engagés.

Existe-t-il une diversité de contenus dans les contrats de ruralité ?

C. G. : Quand les périmètres des territoires sont stabilisés, les projets de territoire solides et les moyens d’ingénierie conséquents, il a été plutôt facile de contractualiser. Quand la réorganisation territoriale a été subie [du fait de la loi NOTRe d’août 2015 notamment, ndlr], que le travail entre acteurs est difficile, le contrat devient alibi, une addition de dossiers et d’actions plutôt qu’une structuration de projet. La prégnance du calendrier électoral et les délais courts pour le paiement des actions à engager ont précipité la signature des contrats et le recyclage d’actions sorties des tiroirs. Dans un contexte national mouvant, les territoires qui ont des priorités stratégiques utilisent le contrat comme une opportunité. Le contenu des contrats dépend beaucoup de la capacité et de la volonté des hommes et des femmes de faire projet commun.

Les moyens engagés sont-ils importants ou suffisants ?

C. G. : Les financements classiques aux collectivités sont en diminution et l’État choisit de réorienter des lignes de crédits existantes et dédiées aux territoires vers les contrats de ruralité. Il n’y a donc pas eu de nouveaux fonds dédiés aux acteurs locaux. L’annonce d’enveloppes allouées, de l’ordre d’un million d’euros par contrat, puis par département, laissent finalement peu de latitude aux préfets et sous-préfets qui ont pris des engagements parfois prématurés. La réalité des chiffres est celle des fonds classiques disponibles dans l’année budgétaire, déterminés par la loi de finances. On est donc loin du compte. Quelle que soit la volonté de l’État d’accompagner, le territoire doit pouvoir mobiliser sa part d’autofinancement sur les projets, allant de 20 à 30 %. Et ce n’est pas toujours possible ! Avec un contrat signé, un dossier prêt, une subvention notifiée, rien ne se passe dans les deux ans qui suivent parce que la collectivité ne parvient pas à budgétiser sa contribution. Encore un décalage entre les annonces et la réalité.

Ces contrats sont-ils vecteurs de progrès social et les habitants y sont-ils associés ?

C. G. : Pour travailler sur un projet de territoire, il faut se demander comment améliorer la vie des gens, leur donner envie de se maintenir sur place, continuer à y habiter, y travailler, éduquer leurs enfants… Mais si les politiques publiques traitaient efficacement les problèmes des gens, cela se saurait. Faisons preuve de beaucoup d’humilité, méfions-nous des effets d’annonce et de l’arrogance qui entretiennent le sentiment de mépris. Le financement de quatre ou cinq projets sur un territoire d’une superficie énorme fait-il réellement naître chez les habitants un sentiment de vivre mieux ? Il faut pouvoir développer une culture de la chose publique et de la responsabilisation de chacun pour associer davantage les gens aux actions et aux politiques publiques.

Quelles pistes suivre pour améliorer une probable nouvelle génération de contrats ?

C. G. : D’abord investir dans l’ingénierie, c’est-à-dire la matière grise qui peut aider à construire une contractualisation de bon niveau avec des projets structurants. C’est un art de faire travailler ensemble les représentants de l’État, du Département, de la Région et les autres acteurs. Il faut constituer une équipe opérationnelle qui anime le territoire, capable d’aller chercher les élus et la société civile pour déterminer des priorités stratégiques et construire des accords sur les objectifs. Le plan d’actions, dans sa mise en œuvre, doit continuer à soutenir la dynamique du projet.

Propos recueillis par Sylvain Adam (délégué national de l’Unadel)

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1/ Voir à ce sujet la synthèse de l’Unadel : https://unadel.org/wp-content/uploads/2017/12/UNADEL-contrats-de-ruralite-avec-soutien-financier-CGET.pdf

2/ Rapport public remise par l’économiste Éloi Laurent le 13 février 2013 au ministère de l’Égalité des territoires et du logement : www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000131

3/ Les contrats de ruralité sont conclus entre l’État (représenté par le préfet de département) et les pôles d’équilibre territorial et rural ou établissement public de coopération communale.

Lire également Mohamed Chahid et Gwénaël DORE, Le renouvellement de la contractualisation territoriale de L’État français : les contrats de ruralité : https://www.sfer.asso.fr/source/jrss2018/articles/E32_Dore.pdf

La Communauté de communes Alpes Provence Verdon et quatorze partenaires ont signé un contrat de ruralité avec l’État pour la période 2017-2020, suivi par un comité de pilotage comportant un collège de citoyens / crédits : Unadel

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