Où est passé l’argent ?

La représentation nationale est à l’ouvrage pour tenter de construire un budget pour l’Etat et pour la sécurité sociale à partir des propositions du gouvernement. Elles ont le mérite d’être mises en débat ; leur cohérence ne semble pas évidente. Surtout ces projets de loi de finance apparaissent très en deçà des attentes des Français qui espèrent majoritairement plus de justice sociale et fiscale.

Le débat est difficile. Les plus riches se sont imposés en minorité de blocage. La suspension de la loi sur les retraites est une compensation qui apparaît bien faible ; c’est tout de même une petite victoire après des mois d’opposition majoritaire dans le pays à une loi imposée par le recours au 49-3 permettant d’éviter la mise en débat du texte au parlement.

Mais rien n’est vraiment acquis. Le Sénat va sans doute revenir sur le vote majoritaire de l’Assemblée et les retraites diviseront sans doute à nouveau le pays et les partis dans les mois qui précèderont les prochaines présidentielles.

La société civile organisée, le monde du travail, des organisations syndicales ou mutualistes, des fondations et des associations, de l’économie sociale et solidaire, de l’éducation populaire, seront-elles les victimes collatérales des coupes budgétaires imposées sur les 3 budgets du pays ? Le plus important, celui de la sécurité sociale est pourtant le moins déficitaire avec celui des collectivités locales. Celui de l’Etat, années après années, ajoute de la dette à la dette alors qu’il est en recul sur nombre de politiques publiques dans de nombreux domaines, mobilités, transitions, éducation, santé, culture, recherche, aménagement du territoire.

Faudra-t-il une convention citoyenne sur le budget de l’Etat pour qu’enfin surgissent des propositions d’économies ici, de renforcement des moyens ailleurs, qui amélioreraient vraiment la vie des habitants et particulièrement celle des moins favorisés ? Faudra-t-il un référendum d’initiative partagée pour obtenir enfin des mesures de justice fiscale qui autoriseraient des recettes proportionnées avec un impôt plus juste, plus solidaire, plus adapté aux enjeux sociétaux et mieux accepté parce qu’assujetti sur l’ensemble des revenus de chacun (du travail comme du capital) ? Avec des minimas sociaux et un salaire minimum revalorisés, une TVA différenciée sur les produits de première nécessité, on pourrait engager un vrai travail pédagogique sur le consentement de tous à l’impôt en prenant des distances avec la stigmatisation des plus pauvres trop souvent désignés comme des profiteurs et des assistés. De meilleurs revenus pour les actifs permettraient aussi la relance de la consommation et des productions locales décarbonées.

Les semaines que nous venons de vivre révèlent ben que si les pauvres sont les plus nombreux, ce sont bien les plus riches qui posent problème parce qu’ils veulent toujours gagner plus sans contrepartie. Les plus pauvres paient proportionnellement plus d’impôts, directs ou non, que les riches et ce n’est pas l’idée que nous pouvons nous faire de la justice.

Ce propos vous semble trop politique et trop éloigné des préoccupations du développement local ? Au contraire il en est des territoires comme du reste de la société. Les territoires les plus riches bénéficient de plus d’argent public, d’équipements, de services, d’installation d’entreprises performantes, de créations de richesse et de CSP +. Les départements les plus pauvres, dont le revenu médian est en dessous de la moyenne, sont appelés à soutenir plus fortement et plus longtemps, des habitants en difficulté professionnelle et sociale.

Des mécanismes de péréquation existent, insuffisants, et surtout très souvent dépendants des décisions de l’Etat ou d’élus plus prompts à soutenir l’économie qui brille par ses résultats que d’investir dans le potentiel humain.

Et ils sont rares les territoires qui acceptent de partager leur richesse avec leurs voisins plus pauvres…

Le pays est souffrant et les associations se meurent

J’écris ces lignes dans un train. Invité par la Fondation de France et ses partenaires au forum national des Associations et Fondations. Je sais pouvoir y faire de belles rencontres. Me permettront-elles de trouver un peu d’argent pour les réseaux associatifs du développement local ? Comme beaucoup d’associations qui s’appuient sur des salariés pour répondre aux besoins des territoires, elles vont souffrir en 2026, et devront se séparer, faute de financements suffisants, de collaborateurs précieux, alors que la charge de travail s’accroit et les besoins sont toujours plus nombreux.

Le nombre de bénévoles reste toutefois important et l’engagement citoyen est une vraie richesse dans les communes, les villes et les quartiers. Mais l’épuisement et le vieillissement ne s’accompagnent pas toujours du renouvellement générationnel souhaitable.

C’est un défi pour notre société et pour les futures équipes municipales qui auront à trouver des solutions avec le monde associatif sans penser à sa place.

C’est aussi un défi pour l’Etat qui a souvent des paroles bienveillantes vis-à-vis des associations dont il ne peut se passer pour maintenir les liens sociaux et parfois aussi des services publics qu’il ne peut plus assurer. Les mots ne suffisent pas, ne suffisent plus. Dès cette année, de nombreuses associations ont cessé leur activité. Leurs équipes salariées se retrouvent au chômage…alors que l’emploi associatif représente de 10 à 20% des actifs d’un territoire. Qu’en sera-t-il en 2026 ? Les années de renouvellement des élus municipaux et intercommunaux sont souvent difficiles pour la reconduction des moyens et des conventions avec les associations. La réduction des dotations et celles des subventions se cumule au détriment de l’emploi, des services et du lien social. Certaines structures pourront survivre grâce à l’imagination, au recours au mécénat et aux fonds de dotation. Mais pas toutes.

Retrouvons l’esprit pionnier des jours heureux

Entre les commémorations du 11 novembre et celles des attentats du 13 novembre, 2015, je voudrais rendre hommage aux fondateurs de notre protection sociale issue des propositions du Conseil National de la Résistance et à son grand artisan, Ambroise Croizat, ouvrier, ministre communiste d’un gouvernement présidé par Charles De Gaulle.  80 ans après, diverses organisations syndicales et mutualistes notamment, prenne l’initiative de lancer des Etats généraux de la protection sociale. Dans un monde aussi fluctuant que le nôtre il est urgent de se dégager des contraintes et des tableaux Excell de la performance pour retrouver la robustesse des liens, de la solidarité et du sens donné à l’action publique renforcée par les initiatives de la société civile organisée. Notre modèle social est unique, il mérite d’être amélioré certainement pour en faire un socle d’inspiration pour l’Europe et au-delà. Retrouvons la fierté des pionniers, celle des cotisations volontairement contributives qui permettent à chacun de se soigner convenablement quand la maladie frappe.

Et rendons hommage aux éveilleurs de territoires

Les jours heureux de la reconstruction d’après-guerre ont débouché sur les 30 glorieuses et l’illusion que le modèle économique du pays ferait le bonheur de chacun grâce à l’accès pour tous aux biens de consommation (voitures, machines à laver…). Le confort est entré dans les foyers. Mais la désertification rurale puis les crises industrielles, le choc pétrolier et les délocalisations ont amené les femmes et les hommes des territoires ruraux comme des banlieues et des villes à agir pour ne pas subir. La logique du « aide-toi, le ciel t’aidera » a fait germer les premiers projets de développement local en Bretagne, en Auvergne, en Languedoc-Roussillon ou en Lorraine.

J’ai eu la chance de faire un bout de chemin avec plusieurs des leaders qui ont accompagné, initié, porté ces démarches de développement local qui ont su évoluer vers de nouveaux modèles de développement plus durables, plus endogènes,  plus horizontaux et désormais plus respectueux du vivant, plus coopératifs et plus démocratiques.

Michel Dinet, fondateur de l’Unadel a été un de nos grands inspirateurs. Avant lui, Paul Houée, en Bretagne, a insufflé un nouveau souffle sur le Pays du Mené, l’un des territoires les plus pauvres devenu aujourd’hui pionnier des énergies renouvelables et des solidarités. Un film a été réalisé par Jean-Yves Dagnet sur cette aventure du Mené et sur le rôle de Paul Houée, aujourd’hui âgé de 94 ans. Nous avons pu fêter avec lui et plusieurs centaines d’habitants et d’acteurs locaux, les 60 ans d’une démarche qui se poursuit avec les femmes et les hommes de ces villages de Côte d’Armor. Ils sont également pionniers en matière d’organisation territoriale et de fonctionnement culturel et démocratique. Nous projetterons le film « Paul Houée, éveilleur de territoire » le 1er décembre à la Halle Pajol à Paris, en clôture de la journée des territoires, en présence du réalisateur et peut-être aussi de Georges Gontcharoff (96 ans) qui incarne le développement local à lui tout seul depuis tant d’années. Ses livres sont toujours des références pour les acteurs d’aujourd’hui et sa pensée est toujours aussi lucide. Sa participation régulière aux instances de l’Unadel nous est précieuse et sa connaissance de la géographie du développement local vaut toutes les fiches Wikipédia !

Quand le doute s’insinue sur l’utilité de notre engagement dans une période aussi dure et violente que celle que nous traversons, je fais mienne la réflexion d’Olivier Hamant, chercheur à l’INRAE qui affirme que :  « l’incertitude fait société » tandis que « l’équité se construit sur l’hétérogénéité ».

Pour conclure souvenons-nous aussi du proverbe africain souvent cité par Michel Dinet : « quand tu cherches ton chemin, souviens toi d’où tu viens ».

1+1 font 3 disons-nous en Lorraine tandis que 2 et 2 font 6 selon les Bretons du Mené !

Vive le développement local !

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