REGARD. Le philosophe, spécialiste de l’islam et des évolutions contemporaines de la vie spirituelle, appelle à une inversion du rapport entre le pouvoir et le peuple, “infantilisé” par le système actuel.
L’ObsPublié le 09 octobre 2016 à 17h08
“Pour réenchanter la société, le pouvoir doit être animé par l’ambition d’encourager, d’alimenter la capacité à faire des citoyens.” Cette phrase prononcée il y a quelques années par le socialiste Michel Dinet, promoteur de la décentralisation, devrait nous interpeller de manière particulièrement urgente.
L’indifférence, la défiance et le rejet qui s’expriment à l’égard de la classe politique démontrent que nous avons depuis trop longtemps oublié de nous poser ensemble ce type de question. Comme si le rôle des politiques continuait d’aller de soi. Or justement non, il ne va plus du tout de soi. Et c’est bien là que le bât blesse.
La campagne qui s’ouvre ne nous fait que des propositions aussi classiques que dépassées : la publicité d’un “homme providentiel” qui “rassemble”, et la litanie de ses promesses menton levé. On reste ainsi dans le schéma qui précisément ne fonctionne plus : un pouvoir qui montre la voie, ou qui est censé le faire, et un peuple qui suit.
Une démocratie à la Ponce Pilate : nous confions la responsabilité des affaires publiques à des chefs puis nous nous en lavons les mains. Nous votons comme on se débarrasse, pour nous dessaisir de questions censées nous dépasser. Le gouvernement berger guide et garde le troupeau de ses administrés.
Un système infantilisant
Combien de temps encore va-t-on supporter de rester dans cette enfance de la démocratie ? Dans ce système infantilisant qui maintient le peuple sous tutelle, qui maintient, en le transférant sur le plan politique laïque, le modèle religieux d’une caste d’”élus” tout-puissants capables d’ouvrir devant tous les autres la mer Rouge de l’intérêt général ?
Si cela ne nous convient plus du tout, c’est que nous sommes prêts en réalité pour tout autre chose, qu’il faut bien appeler un renversement démocratique. Non pas une révolution mais l’inversion du rapport qui a prévalu jusqu’ici entre le pouvoir et le peuple.
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Cela voudrait dire d’abord qu’à la place de la question habituelle adressée aux candidats : “Qu’allez-vous faire pour nous ?”, nous leur en posions cette fois une toute nouvelle : “Qu’allez-vous nous donner les moyens de faire ?” Allez-vous enfin faire appel à notre initiative et à notre intelligence citoyenne ? Allez-vous enfin mettre votre action au service de la nôtre ?
A ces questions, il ne suffira pas de répondre “oui bien sûr, c’est justement l’originalité de ma candidature” – comme le feront les plus opportunistes.
Un authentique pouvoir citoyen
Cela requiert de décentraliser l’exercice de la responsabilité politique jusqu’à la faire exister au quotidien à l’échelle la plus locale pour la totalité de la population.
Cela implique notamment de repenser complètement la place du travail productif dans notre existence sociale : faire en sorte, comme le préconisait Hannah Arendt, que chacun reçoive un salaire décent pour un temps de travail largement diminué qui lui laisse le loisir actif de participer réellement à la vie publique au sein d’associations, d’instances de délibération collectives investies d’une vraie fonction de décision.
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Avons-nous d’autre choix désormais que de réclamer ces conditions d’un authentique pouvoir citoyen ? Il n’y a plus aucune lumière qui vienne d’en haut : les programmes sont d’autant plus pléthoriques qu’ils sont vides de toute vision.
Voilà pourquoi nous tous, citoyens de tous bords, devons saisir l’opportunité de cette grande année politique pour revendiquer que soit complètement revu le contrat de l’élection. Plutôt que de nous en laver les mains une fois de plus, une fois de trop ?
Abdennour Bidar