Inaugurant un plus vaste dossier rassemblant plusieurs contributions de nos membres, nous vous proposons lecture d’une première note de synthèse, accompagnée ci-dessous de 2 fiches-propositions, à l’attention de M. Eric Woerth dans le cadre de la Mission décentralisation et clarification de l’action publique territoriale
Nous remercions Monsieur Woerth et son équipe d’avoir pu auditionner le 1er mars 2024 la délégation de l’unadel composée de son président, Claude Grivel, sa vice-présidente, Alix Roche, une administratrice, Christine Brémond et le délégué national, Yvan Lubraneski. La délégation a eu le sentiment d’être écoutée au cours d’un échange constructif, dont nous espérons que certaines des propositions émises pourront être reprises dans le rapport final prochainement rendu.
Nos propositions s’inscrivent dans l’histoire et la construction des démarches de Développement Local. Il prend ses racines à la fin des années 1960 avec la mise en place des Groupes d’Action municipale et la première génération des plans d’aménagement ruraux. Plus généralement, le Développement Local s’inscrit dès cette époque autour de valeurs, de principes et de méthodes qui inspireront et accompagneront la construction de l’intercommunalité et des programmes d’aménagement et de développement intégré des territoires et quartiers, urbains, périurbains et ruraux. La pertinence du développement local et de son ingénierie nous semble pouvoir répondre aux défis d’aujourd’hui qui mettent en tension le local et le global avec les enjeux d’accélération des transitions, d’exigence de transformation sociale, économique et environnementale des territoires comme des modèles économiques, de construction de pratiques résilientes avec le développement de circuits courts, de pratiques de réemploi et de sobriété et de repositionnement de la capacité de production industrielle et manufacturière dans une plus grande proximité pour réduire les dépendances et développer les conduites et pratiques résilientes.
Cela suppose de :
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faciliter et développer le pouvoir d’agir des territoires afin de répondre aux enjeux culturels, économiques, écologiques, sociaux,
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développer toutes formes de coopération au sein des territoires et dans l’interterritorialité, sortir des « silos » et mener des politiques publiques plus coordonnées, plus cohérentes, plus élaborées dans des processus de co-construction pour être mieux ciblées et plus adaptées aux besoins locaux comme nationaux, en résumé plus transversales, plus globales et écosystémiques, mieux à même de rencontrer l’acceptabilité,
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l’évidence d’associer fortement la société civile et les citoyens, de les « embarquer » dans une « démocratie du faire », démocratie de l’engagement et de la responsabilité, démocratie de la délibération et de l’implication.
Les premières étapes de décentralisation, au début des années 1980 ont favorisé l’articulation entre le local et le national, entre l’ascendant et le descendant. Les étapes suivantes se sont accompagnées d’une volonté de renforcer la structuration des territoires dont les différentes réformes ont modifié les périmètres, la répartition des compétences et le cadre des contractualisations possibles. Cela a donné lieu aux premiers contrats de plan État/Régions et a permis de financer de l’ingénierie dans les territoires et dans les quartiers en politique de la ville. C’est ce qui a favorisé l’émergence des Pays, des agglomérations et des pôles urbains et ruraux (PETR, pôle métropolitain…) en même temps que sont apparues les métropoles qui se sont substituées aux communautés urbaines.
Les fondements du développement local sont toujours là mais ont été souvent mis à rude épreuve avec l’avènement des cabinets conseils et l’émergence de nombreux consultants et spécialistes en appui aux collectivités locales. Celles-ci sont devenues leader de la commande publique en s’appuyant sur les dispositifs et autres programmes pouvant permettre des financements croisés ou non, européens, d’État et encore régionaux et départementaux.
L’ingénierie est devenue très spécialisée et dédiée tantôt au développement économique et à la création d’entreprises, tantôt au déploiement des divers plans environnementaux ou schémas d’urbanisme, agrémentés de fiches actions. Au cours des dernières décennies, la mise en œuvre de plans d’actions en cohérence avec la manne financière liée à tel ou tel dispositif s’est souvent substituée à la construction des projets concertés et intégrés de territoire.
L’inflation normative et législative, les démarches parfois maladroites des gouvernements pour « garder la main » sur les territoires et leur action, ont eu l’effet de re-centraliser ou lieu de décentraliser, d’enchevêtrer des compétences avec un manque de clarté, de lisibilité, de souplesse dans le droit et de juxtaposer des financements tracés, là où il serait nécessaire de conserver des possibilités d’approche globale et singulière tenant compte des spécificités locales.
En résumé, l’unadel croit à la responsabilité et à l’implication du territoire et de ses habitants dans l’action publique.
La question de la décentralisation se pose donc pour nous en ces termes : créer une articulation pertinente entre le mouvement ascendant, depuis l’habitant, et le mouvement descendant, depuis l’État. Cela suppose de redonner aux territoires des marges de manœuvre et des moyens pour pouvoir agir et faire face aux enjeux de la transition.
1) Assouplir le cadre d’action des territoires
Il n’est pas utile de revenir sur la répartition des compétences, ni sur ce que l’on appelle le mille-feuille.
En revanche, au sein du bloc communal, l’organisation n’est pas assez souple. Il nous appartient d’inventer un droit différencié (ou singulier) apparenté aux dispositions de 2010 sur les communes nouvelles, qui fixe le cadre commun et donne la liberté aux élus du territoire de se mettre d’accord librement sur une charte d’organisation et de gouvernance dont les dispositions pourront mieux répondre aux réalités et spécificités géographiques, culturelles et patrimoniales locales ainsi qu’aux priorités qui ne sont pas les mêmes sur le littoral, en montagne ou en zone transfrontalières. Il y a des exemples intéressants et inspirants dans les chartes des pays, des parcs naturels ou des communes nouvelles .
Les communes nouvelles, comme toutes formes de coopération intercommunale, sont à encourager, mais en laissant le choix aux élus dans la distribution des compétences à ce niveau. La méthode des transferts forcés de compétences est contre-productive.
Dans ce même esprit, il faut qu’au sein des EPCI, on permette aux élus de se mettre d’accord, d’avancer à partir d’une définition de l’intérêt communautaire.
Par ailleurs, la faculté de mettre en place des pactes de gouvernance n’est réellement honorée que par les exécutifs soucieux d’une bonne coopération entre les élus. L’obligation d’un pacte de gouvernance est donc aujourd’hui une question posée qui peut aussi rencontrer les volontés locales dans un esprit d’initiative et de volontarisme.
Plus largement, au même titre que la libre administration des collectivités est un principe fondateur de la décentralisation, il convient de reconnaître aux collectivités et EPCI un principe de libre administration de leurs coopérations et du cadre d’organisation du dialogue interterritorial.
Les Départements pourraient assumer véritablement leur chef de filât sur la solidarité et coopère avec les EPCI autour de cette compétence. Le chef de file a la légitimité politique, technique et de proximité.
En tous cas, les cantons dans leur forme actuelle nous semblent obsolètes. La suppression du canton ouvrirait la possibilité d’un scrutin de liste pour assurer en responsabilité et prioritairement les missions de solidarité. De même l’élection au suffrage universel direct et proportionnel doit être envisagé pour désigner les élus au sein de toutes les échelles d’organisation territoriale et notamment pour toutes les communes et intercommunalités.
2) Faciliter l’animation territoriale et la démocratie locale
Pour que le territoire puisse agir mieux, il a besoin de plus de souplesse, mais aussi « d’embarquer » tout le monde (élus, société civile, citoyens), dans une dynamique qui ouvre des perspectives et permet de se projeter. C’est une condition nécessaire pour plus d’efficacité, plus de cohésion sociale et moins de fractures entre les pouvoirs publics et les habitants.
Il y a donc un intérêt majeur à envisager un dispositif d’incitation au développement d’une fonction d’animation territoriale permettant de relier acteurs, projets et territoires en renforçant le dialogue et le débat local et les interfaces avec les différentes échelles de territoires et de responsabilités. Ce dispositif devra pouvoir être financé et systématisé dans le cadre de conventionnements appropriés.
À l’échelle des Pays, PETR ou EPCI, l’unadel a développé depuis plus de 10 ans un savoir-faire dans une approche et une écoute sensible des territoires, interrogeant leur capacité à coopérer dans la construction de leurs projets de territoires et autres documents structurant leur action à moyen et long terme. Le concept “d’écoutes territoriales” qui est une marque de fabrique de l’unadel, en est l’illustration concrète.
Cette approche soutenue un temps par la CDC et le CGET puis par l’ANCT n’est pas la culture, ni le savoir-faire de l’État. Certains territoires manquent encore d’ingénierie territoriale sous toutes ses formes. De plus l’ingénierie de l’animation territoriale est encore trop émergente et peu soutenue. C’est une voie de progrès essentielle.
L’assouplissement du modèle jacobin calqué sur les communes depuis plus de deux cents ans devient une nécessité. Il convient dès lors de travailler à la représentativité des élus par plus de proportionnelle, à leur légitimité par plus de participation citoyenne, à leur solidité par un statut de l’élu donnant du temps et de la sécurité pour agir.
3) Organiser les interdépendances par la contractualisation et le dialogue
La création d’espaces de dialogue et de construction de Projets de Territoires permettant de développer les « reliances » internes aux périmètres de SCoT ou de coopérations externes entre plusieurs EPCI peut répondre de manière pertinente aux enjeux d’aménagement et de prise en compte des exigences .
Depuis longtemps, l’unadel plaide pour des formes multiples de contractualisation, dans le dialogue, entre bloc communal / Pays ou PETR / Départements / Régions / État.
Récemment et de façon encore embryonnaire, la démarche des CRTE propose un nouveau modèle de contractualisation à l’échelle de bassins, entre EPCI et avec l’État : cette voie est la bonne si elle est construite par un État facilitateur plus que prescripteur, et si elle est inspirée par le réel en favorisant la coopération.
Plus généralement, la contractualisation (coopération, visibilité, long terme, moyens financiers, prise en compte des priorités divergentes et convergentes des instances concernées par le contrat) doit être la matrice qui doit guider les financements et l’usage du denier public.
La contractualisation doit pouvoir se substituer aux appels à projets (improvisation, opportunité, illisibilité, court terme, fragilisation et dépenses publiques plus importantes avec des recours à des cabinets spécialisés qui recommencent les mêmes diagnostics et préconisent les mêmes dispositions selon le principe du copier/coller, sans s’appuyer sur l’expertise des acteurs locaux (élus, habitants, techniciens, société civile organisée).
4) Accompagner les territoires en proximité
L’éloignement des structures de soutien aux territoires est insatisfaisante et c’est aussi l’avis de la Cour des Comptes.
La réduction drastique des effectifs en préfecture a mécaniquement orienté les missions de l’État déconcentré vers le contrôle plus que l’accompagnement.
Les comités locaux de cohésion des territoires (CLCT) ne sont pas très actifs comme les comités régionaux et se limitent à de l’inventaire là où l’efficacité par la coopération ferait sens.
La création d’agences nationales déployant des effectifs en région ne réduit pas les inégalités territoriales. Les pouvoirs déconcentrés de l’État sont répartis entre ces moyens déconcentrés et ceux du Préfet de Région et de département. Même si la fonction de ce dernier d’être le représentant local de l’agence nationale de la cohésion des territoires, il n’en demeure pas moins qu’il ne peut s’appuyer que sur une ingénierie qui a perdu beaucoup de moyens humains et de capacités au cours des dernières années et qui est davantage mobilisée dans le déploiement uniforme des dispositifs prévus nationalement. Il demeure donc une vraie difficulté pour les élus de pouvoir s’en saisir en partenaire et non en exécutant.
Dans un contexte de tension budgétaire, il est indispensable de trouver des solutions pour dégager les moyens permettant de mobiliser l’ingénierie d’accompagnement pour l’action des territoires. Des pistes techniques existent, portant sur l’accès au recrutement ou à la mutualisation des personnes ressources, par la requalification des dépenses d’ingénierie hors des crédits de fonctionnement, par l’identification de crédits souples d’emploi, non fléchés sur les projets d’investissement réservés dans les dotations aux territoires.
Enfin, une articulation innovante entre régions / départements et l’État déconcentré pourrait faciliter l’organisation, la structuration et le financement d’agences locales au service des territoires en proximité.