Pouvons-nous encore parler de territoires locaux, de démocratie participative, d’engagement citoyen dans un Pays déclaré en état d’urgence ?
Quelle est l’urgence réelle ? Tribune de Claude Grivel, président de l’Unadel.
Après les attentats de janvier et ceux du vendredi 13 novembre, l’urgence est-elle de pouvoir manifester librement pour dire notre rejet de la violence sous toutes ses formes, ou d’imaginer de nouvelles manières de faire reculer les peurs et la haine qui gangrènent nos rapports humains et nos sociétés, aussi sûrement que le libéralisme capitalistique débridé a pollué l’air, le sol et le ciel de notre planète ?
Le 20ème siècle avait fait tomber de nombreux tabous. Celui-ci les réhabilite alors que l’accès à la connaissance et à la communication n’a jamais été aussi libre. Régis Debray a pu faire l’éloge de la frontière parce que la libre circulation des hommes et des idées laissait espérer l’universalité du bonheur pour tous.
Or le tabou universel du meurtre est désormais contourné ; accepter le meurtre est un coup gravissime pour la société et bien davantage encore pour l’humanité. Nous savons que le meurtre est une atteinte à la fraternité.
Les morts aussi sont inégaux
Nos sociétés sont aujourd’hui confrontées à plusieurs formes de meurtres dont certaines émeuvent plus que d’autres. On s’est indigné devant l’horreur en janvier. Nous étions tous Charlie même si des interrogations demeuraient sur les limites de la liberté d’expression. Mais aucune limite, dépassée ou non, ne justifie le meurtre et l’assassinat. Nous sommes révoltés et bouleversés par les actes de guerre qui ont tué et blessé des centaines de jeunes innocents au Bataclan, à St-Denis ou sur les terrasses des 10ème et 11ème arrondissements. Nous sommes tous Paris !
On s’indigne moins quand ces massacres se déroulent en Centrafrique, à Beyrouth ou Tel-Aviv, quand des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui fuient la guerre et la misère meurent dans les flots de la Méditerranée, victimes des passeurs et des embarcations de fortune tout autant que de l’indifférence générale ; on se pose des questions quand il s’agit d’accueillir sur notre sol ceux qui fuient leur pays dévastés par les bombardements et les exactions des uns et des autres et on réclame de fermer les frontières tandis que d’autres sont prêts à reconstruire des murs de la honte avec barbelés, chiens et miliciens armés et autorisés à tirer et à tuer.
Combattre les barbares
Qu’avons-nous fait de notre histoire, de nos traditions, de notre culture, de nos valeurs ?
Réhabiliter le meurtre et le rejet de l’autre quel qu’il soit, cela a un nom : la barbarie !
Espérer gagner les grâces d’un Dieu quel qu’il soit en tuant et en se tuant, cela s’appelle de la crédulité et de l’obscurantisme. Préférer les forces de la mort à celle de la vie c’est condamner l’humanité et la planète.
Parce que nous avons choisi au contraire la résilience comme chemin de la construction de l’avenir, parce que dans nos villages et nos villes, dans nos territoires organisés et territoires de projet, nous préférons construire du lien, de la qualité de vie, nous appelons à tout faire pour mieux vivre ensemble. Cela passe par le développement de l’accueil de tous, jeunes et moins jeunes, en difficulté sociale ou plus favorisés, malades, handicapés ou bien portants, venus d’ici ou d’un ailleurs proche ou lointain.
Refuser le FN
Nous avons la chance de vivre dans un pays riche, nous pouvons partager. Nous pouvons accueillir et construire avec d’autres une société meilleure et combattre toutes les fausses bonnes idées simplistes qui sont le creuset du meurtre organisé et du rejet des autres.
Le terrorisme se nourrit de toutes nos attitudes de mépris et de rejet, comme de celles qui laissent à penser que nous pouvons tout régler en faisant la guerre ou en affichant nos couleurs nationales à nos balcons.
Nous pouvons redonner des couleurs à notre République : celles de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ! Celles de l’humanité fraternelle et bienveillante, de la solidarité et du partage, de la laïcité, qui accompagne la liberté de croire ou non, de pratiquer sa religion ou de mettre en avant ses seules valeurs humanistes.
Aux urnes citoyens !
En ce début de décembre, au moment où les Nations Unies tiennent conférence à Paris sur le climat et l’avenir de la planète exposée au réchauffement climatique, les électeurs sont conviés à élire leurs élus régionaux dans de nouveaux périmètres.
Les Français seront-ils au rendez-vous des régionales et de la COP 21 ?
Le premier risque est que l’abstention soit la première gagnante de ce scrutin des 6 et 13 décembre prochains. Si le vote ne fait pas tout, il est tout de même le premier acte marquant son appartenance citoyenne à la démocratie ; il est aussi la première marque d’attachement aux valeurs républicaines. Il est enfin la marque d’une participation au choix de ceux qui auront la responsabilité de mettre en œuvre les politiques publiques qui concernent la vie de nos territoires, qu’il s’agisse de formation, d’éducation, de mobilité, d’économie et d’emplois, de culture, de sport, de soutien à la vie associative.
La victoire du FN serait notre défaite
Le second risque est de voir les activateurs des peurs et les promoteurs de la haine et du rejet de l’autre prendre le pouvoir dans 1, 2 peut-être 3 régions sur les 13 nouvellement découpées. Or ces gens-là mentent aux français et laissent penser que leur programme protectionniste et souverainiste peut servir de paravent et régler les problèmes d’emplois et de pouvoir d’achat. Ces gens-là veulent réhabiliter le permis du tuer ; ces gens-là surfent sur la barbarie et le chaos pour installer un régime que nos ainés ont combattu en Europe et que fuient tous les errants de notre planète ; ne nous y trompons pas. Ceux qui souhaitent tout régler par la guerre et le meurtre construisent la dictature de demain.
Faire de la politique autrement
Le pouvoir régional décentralisé a beaucoup de progrès à faire pour construire une société plus agréable à vivre en lien avec les autres collectivités locales. Une campagne électorale centrée sur le contenu des projets plutôt que sur les leaders candidats à la présidence des nouvelles régions serait souhaitable pour mobiliser les citoyens. Nous devons tout faire pour que demain, dans nos régions, nous puissions coconstruire des politiques publiques ouvertes aux contributions citoyennes et à l’identification de priorités partagées entre les différents niveaux d’organisation, (communale, intercommunale, regroupée en pays ou en pôle, départementale et régionale).
Nous avons besoin de faire avec et non de subir les politiques décidées par les seuls élus qui croient tout savoir parce qu’ils sont légitimés par le suffrage universel, plus exactement par une petite majorité des gens qui vont encore voter. Nous n’avons pas besoin d’un parti qui décline en région son programme électoral présidentiel fut-il bleu marine.
Coopérer c’est l’avenir
Le développement local est un support des dynamiques de projet qui permettent de développer le vivre et le faire ensemble. Notre société en a grand besoin dans ses quartiers urbains comme dans ses plus petits villages. Au moment où les grands ensembles sont valorisés (grandes régions, grandes intercommunalités, grands pôles métropolitains, métropoles, etc…) il nous faut, plus que jamais, réaffirmer le besoin de penser global sans oublier d’agir local.
Cela passe par un véritable travail entre toutes les composantes de nos territoires, partenaires institutionnels, organisations diverses et variées mais aussi simples citoyens, pour faire vivre la proximité comme support de projets pouvant contribuer au mieux vivre ensemble localement tout en développant les coopérations entre les gens et entre les territoires. L’avenir n’est plus dans la compétition, mais dans la coopération et dans l’innovation sociétale.
Développer le travail en réseau
Des territoires résilients, accueillants et participants, sauront construire la proximité entre leurs habitants et entre leurs organisations, collectivités, sociétés publiques et privées ; ils sauront prendre leur place dans de grands espaces régionaux à condition de pouvoir développer le travail en réseau. Cela passe par un soutien fort à l’animation territoriale, un rééquilibrage des moyens de l’ingénierie trop souvent concentrée dans les villes et trop spécialisée pour pouvoir accompagner une participation citoyenne active en capacité de faire émerger des solutions. Il n’y a pas de problèmes dans les territoires locaux quand on considère qu’ils sont d’abord des ressources et de la capacité à faire émerger des projets et des solutions.
L’Unadel sera au service des exécutifs régionaux qui le souhaiteront pour faciliter la mise en œuvre et la consolidation des réseaux régionaux d’accompagnement des territoires organisés, porteurs de projets intégrés de développement et facilitateurs de l’engagement et de la participation citoyenne ; les interventions de l’Unadel et de ses réseaux régionaux peuvent aider à la formation et à la mise en place de conseils citoyens ou de développement, à la construction de communes nouvelles ou au renforcement de réseaux d’éducation populaire.
Fédérer les actions face à l’urgence écologique
Les élections régionales ont lieu en même temps que la COP 21. C’est un signe fort qui souligne combien les enjeux environnementaux devront servir de colonne vertébrale aux politiques régionales dans les années à venir. L’économie verte, les circuits courts, les économies d’énergie dans les bâtiments publics comme dans l’habitat, les mobilités écologiques, l’accès au numérique pour tous devront être prioritaires pour les régions au même titre que les solidarités le seront pour les départements. La maintien de la clause générale de compétence pour les seules communes et pour leur groupement, obligeront demain à trouver des solutions innovantes et participatives pour tout ce qui touche aux services et à la gestion des besoins des gens en proximité.
Il y a là de nouvelles perspectives pour construire de solides partenariats, à condition que l’espace républicain reste celui de l’agora et du vivre ensemble, dans l’égalité, la liberté et la fraternité.
Claude GRIVEL, président de l’Unadel
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