Pensée comme un espace de dialogue entre les territoires écoutés par l’Unadel et ses partenaires en 2025, l’Agora a permis d’articuler les expériences locales vécues par les territoires écoutés avec une analyse transversale des démarches -présentée par Gilles Peissel – et de dialoguer avec le public présent lors de cette journée.
Vous re(trouverez) ci-dessous les grandes lignes des échanges qui ont eu lieu durant cette Agora avec leurs verbatim.
Des situations locales singulières, des dynamiques souvent fragiles
Les territoires écoutés en 2025 présentent des trajectoires contrastées, mais partagent des dynamiques locales parfois fragiles, souvent en construction. Les témoignages soulignent à la fois un fort attachement au territoire et un sentiment de fatigue lié à la dispersion des initiatives et au manque de coordination.
Si les Écoutes révèlent une richesse d’actions et un potentiel de mobilisation, elles montrent aussi des difficultés relationnelles persistantes : entre habitants anciens et nouveaux, entre collectifs citoyens et institutions, ou encore entre différents niveaux de gouvernance. L’enjeu du « faire lien » apparaît central pour consolider les dynamiques existantes.
Le langage, un enjeu de démocratie
Un enseignement transversal concerne le décalage entre le vocabulaire institutionnel et les mots utilisés par les habitants pour parler de leur quotidien. Des notions comme « transition », « participation » ou « démocratie » sont souvent mal comprises, voire rejetées, car perçues comme abstraites ou déconnectées des réalités vécues.
Les Écoutes montrent que les habitants parlent davantage de ce qui les met en mouvement, de ce qui les motive ou les inquiète, que de concepts théoriques. Cela pose un enjeu fort de traduction, de simplification et d’adaptation des langages, afin de partir des préoccupations concrètes plutôt que de catégories institutionnelles.
« La transition, il faut pouvoir la vulgariser, la mettre vraiment derrière des choses concrètes sur notre territoire. […] C’est tout ce qui peut mailler et faire en sorte que l’habitant se sente bien sur son territoire. Et derrière aussi, la fameuse démocratie locale. […] Ce serait, on va dire, les pierres qu’on pose, en local, avec les communes. On commence par les communes, par les habitants. Et puis, on construit tranquillement un édifice qui permet d’avoir un bon socle vraiment démocratique derrière. »
« On parle de démocratie, de transition, ça a été déjà dit. Les gens, ils ne veulent plus entendre parler de ça. La démocratie, ils sont très déçus. La transition, ça commence à être n’importe quoi. On parle de transition écologique, de ceci, de cela, de développement, d’économie. Les gens, ce qu’ils veulent, c’est du lien social. Et c’est le local qui permettra le lien social. La démocratie, si on veut qu’elle perdure, il faut qu’elle s’appuie sur le lien social, c’est-à-dire sur les humains et non pas sur des acteurs économiques. »
« Les gens, ils ne croient plus trop à ce qu’on leur dit. Donc, le vocabulaire emprunté, transition, démocratie. Ils disent : ‘mais non, ça ne me regarde pas, ça ne m’intéresse pas. Je suis incapable de parler de ça’. »
« Je rejoins le fait qu’on n’a pas de définition des transitions. Les habitants qui ont été interrogés, n’ont pas une réflexion universitaire sur l’étymologie du mot ou son évolution dans l’histoire. Eux, par contre, effectivement, ils nous ont parlé de ce qui les met en action, ce qui les motive. Ce qui les anime. C’était précieux de recueillir leur parole, pour mettre en place une nouvelle démocratie peut-être, d’avoir vraiment ce noyau qui va être le commun de notre territoire. »
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La transition comme transformation des relations
Un fil rouge traverse l’ensemble des échanges : la transition est avant tout une transformation des relations. Transformation des relations entre élus et habitants, entre institutions et collectifs citoyens, mais aussi entre habitants eux-mêmes.
Les expériences partagées montrent que ces évolutions sont lentes, parfois fragiles, mais structurantes lorsqu’elles reposent sur le dialogue, la reconnaissance mutuelle et l’apprentissage collectif.
« On a construit un collectif avec des gens venus d’un peu partout, avec des profils très bigarrés, personne n’y croyait (…) On est sur des temps longs dans un territoire rural en déclin. »
« Dans l’ensemble, j’étais étonnée de voir qu’il y a vraiment une base pour que les gens se mobilisent, que notre territoire est riche en initiatives. Ce que les Écoutes ont pu montrer, c’est qu’il y a un manque de lien entre les différentes initiatives dispersées, ce qui fatigue beaucoup les gens qui veulent mettre un bon coup de collier, mais qui ne se sentent pas aidés. »
« En allant trop vite, on a loupé l’occasion de faire de ces Écoutes une vraie dynamique collective.»
« Les Écoutes vont justement permettre d’essayer de trouver des points communs entre les intérêts des personnes pour pouvoir re-dialoguer et se mettre d’accord… Des points communs, il y en a. Le problème, c’est qu’il faut que tout le monde en prenne conscience. D’où l’important d’écouter et de discuter…Et ça passe par le lien, l’humain.
« J’aime bien citer une chanson d’un vieux chanteur des années 80, Michel Bühler, qui disait : “Derrière les choses, il y a des gens, on finirait par l’oublier.”. »
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La transition est ainsi moins envisagée comme une succession de projets que comme un processus relationnel et démocratique, ancré dans le local.
Une démocratie locale, encore fragile
La question démocratique occupe une place centrale dans les échanges. Si certaines avancées sont observables, la défiance envers les institutions demeure forte. La présence d’élus dans des instances ou des collectifs ne garantit pas nécessairement une réelle co-construction.
« A mon avis, la démocratie locale reste quand même, pour nous en tout cas, un grand objectif plutôt qu’une réalisation. Même Si nous avons des élus dans notre conseil d’administration, ça veut juste dire qu’ils n’ont pas très peur de nous. Mais ça ne veut pas dire qu’ils veulent vraiment travailler avec nous. Là, il faut être dans la réalité des choses. »
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Ce qui fait territoire
Les échanges interrogent la notion même de territoire, souvent réduite aux périmètres administratifs.
« On est vraiment à la limite de trois départements. Donc c’est clair que le périmètre administratif, il ne définit pas le territoire. »
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Les Écoutes mettent en avant un territoire vécu, défini par les usages, les liens et les pratiques quotidiennes, parfois transfrontalier ou éclaté. Cette approche questionne les cadres habituels de l’action publique et invite à repenser les coopérations à partir des réalités vécues par les habitants.
« La commune s’est lancée dans une démarche qui était impulsée par la région. C’est une démarche de transformation, qui est nécessaire parce que le territoire était vraiment en grande souffrance sociale, et présentait des paramètres géographiques qui étaient compliqués. Cette démarche n’a pas tout de suite été acceptée, intériorisée par la totalité des habitants. Notre question, c’est : « Comment une petite ville de la ruralité, de la périphérie, marquée par des paramètres sociaux très, très mauvais, peut ne pas tomber dans une tentation, je dirais, populiste et proposer un projet un peu alternatif ? »
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Où la nature est désormais moins perçue comme une contrainte que comme un bien commun, un atout territorial et parfois un support d’identité collective.
Ce rapport renouvelé constitue un socle important des dynamiques de transition, qui témoigne d’une évolution profonde des représentations et des récits territoriaux.
« Il y a un changement qui ne se voit pas, mais je l’ai lu dans plusieurs portraits de territoires, c’est le rapport avec la nature. C’est un changement fondamental. »
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L’Écoute, un outil qui résonne
L’Écoute Territoriale est décrite comme un dispositif, sans diagnostic préalable ni réponses prédéfinies, laissant émerger les sujets à partir des paroles recueillies. Elle est perçue comme un acte de reconnaissance, permettant l’expression de voix peu entendues et nécessitant un cadre de confiance clairement posé dès le départ. Elle permet de faire un pas de côté qui conduit à changer de point de vue.
« A un moment dans l’Écoute justement, on essaie de dépasser les personnes habituelles dans les réunions de concertation, de participation. Parce qu’on s’aperçoit qu’il y a certaines tranches de population qu’on n’arrive pas à toucher, qui ne se sentent pas légitimes à venir parler, parce que le vocabulaire de la démocratie participative et des transitions déjà n’est pas évident pour nous, mais alors, pour des personnes qui ont fait peu d’études, ça devient un dialecte incompréhensible, étrange. […] Et ce qui ressort, c’est surtout un travail vers la jeunesse qu’il faut faire. Il faut aller les chercher parce qu’on sait que c’est un public très volatile qui se mobilise volontairement, mais sur des actions ponctuelles et moins sur la durée, moins sur un engagement pérenne. Il faut à chaque fois les réactiver et venir les rechercher. »
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Elle pose également la question de l’inclusion de publics éloignés des dispositifs habituels de participation, notamment les jeunes ou les personnes peu familières du vocabulaire institutionnel.
Et après l’Écoute ?
Cette question traverse l’ensemble de l’agora : comment prolonger l’Écoute dans le temps ?
Les pistes évoquées incluent des restitutions élargies, des ateliers collectifs, l’intégration des enseignements dans les projets de territoire et des prolongements inscrits dans le temps long.
L’enjeu est de faire de l’Écoute un point d’appui pour l’action, sans en faire une fin en soi, en articulant reconnaissance des paroles, structuration collective et mise en œuvre concrète.
“On a besoin d’alimenter encore plus pour vraiment avoir quelque chose d’objectif et significatif. Et ce sera, je pense, sur la feuille de route et, entre autres, avec le conseil citoyen, que ce travail va être opéré et, nous allons intégrer les jeunes aussi sur cette démarche-là. Euh, concernant les élus, bon là, c’est le gros travail que je fais déjà depuis six ans. Ça évolue.”
« On ne va pas s’arrêter là, puisqu’on a un projet de développer des camps de base, c’est-à-dire des moments, peut-être des week-ends de réflexion avec pas mal d’acteurs pour aller plus loin comme un camp de base dans la montagne. C’est-à-dire réfléchir ensemble et poser des jalons pour développer un projet de territoire. […] Les jeunes, les populations vieillissantes, tout le monde, toutes les couches de la population ont ce besoin-là. C’est le besoin exprimé de partager avec d’autres couches de la population, avec d’autres catégories sociales, mais aussi avec des jeunes, des vieux… »
« Je trouve que c’est vraiment une chance pour nous, parce que ça va nous enrichir. On a associé plein de gens avec qui on n’avait pas l’habitude de travailler, et les Écoutes, c’est une caisse de résonance. […] Là, maintenant, on a des groupes de travail à mettre en place, pour avancer sur chacun des thèmes ou des propositions concrètes, puisqu’il y avait à la fois des thématiques un peu générales sur la souffrance des jeunes en ruralité, par exemple. Et puis aussi des propositions concrètes qu’il faut mettre en musique. Et puis après, il faut trouver les financements. »
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Ainsi et malgré les l’hétérogénéité des territoires, l’Ecoute a partout permis que la parole puisse émerger et être entendue. Elle a confirmé l’intérêt de s’accorder un temps d’arrêt pour observer, comprendre et ajuster les trajectoires territoriales, en plaçant l’écoute et la relation au cœur des démarches de transition.