Quel avenir pour la coopération et l’appui au développement ? 

L’arrêt de l’aide américaine au développement et des articles du JDD du 23 février sur “les milliards engloutis de l’aide au pays étrangers” doivent nous amener, sans adhérer à certains propos, à nous interroger sur l’Aide publique au développement.

Faut-il encore parler d’aide publique au développement ? Ne faut-il pas plutôt parler d’appui au développement ? En effet la notion d’aide peut être culpabilisante et péjorative vis-à-vis des pays en développement.

Certes au 1er abord, le retrait des américains va entraîner des difficultés réelles pour des populations à travers le monde, mais n’est-ce pas aussi une opportunité pour repenser l’Aide publique au développement, trop souvent dilapidée,  détournée par la corruption, rente de situation pour nombre d’opérateurs  et mettre en œuvre une autre approche de la coopération, celle de territoires à territoires, avec contrôle de l’utilisation des fonds, avec des liens de population à population. Il est temps de faire des propositions et de battre en brèche en France, à la fois les thèses de l’extrême droite qui s’oppose aux politiques d’appui au développement et d’une partie de la droite ainsi que certains lobbys de l’Humanitaire, même si on ne doit pas sous-estimer le rôle positif d’ONG dans nombre de pays.

En 25 ans j’ai initié et participé en tant qu’élu et participe encore comme responsable d’associations, à des projets de coopération de territoire à territoire en Afrique et dans les Balkans. Mali, Mongolie, Sénégal, Madagascar, Burkina Faso, Niger, Bosnie Herzégovine, Roumanie, etc. […]

A partir de 25 ans d’action dans la coopération et de liens avec le Ministère des Affaires Etrangères et autres ministères, je fais un premier constat : beaucoup de préconisations et réflexions dans le domaine de la coopération, tant du point de vue global que thématiques, sont le plus souvent restées lettre-morte, tant l’inertie est forte dans les directions des ministères, tant les différents acteurs sont dans des positionnements cloisonnés et concurrentiels. […]

N’est-il pas temps […] de sortir des concurrences entre opérateurs et de mettre en œuvre des stratégies concertées et des actions mutualisées entre tous les acteurs au plan européen, international et de la francophonie? Dans les pays et territoires en coopération, il y a de multiples opérateurs (Agences des Nations unies, l’UE, le Gouvernement français, ses administrations et l’AFD, diverses ONG françaises et de différentes nationalités, des collectivités, etc). Le plus souvent l’ensemble de ces acteurs travaillent en ordre dispersé, quand ils ne se concurrencent pas ou ne s’opposent pas. J’ai vu à quel point c’était préjudiciable à la réussite des actions de coopération pour le développement. A contrario j’ai constaté, quand cela existait, que les mises en synergie de différents acteurs étaient pleinement efficaces pour les projets.

Est-il encore tolérable, dans un pays comme la France, d’avoir des ministères ayant chacun leur propre stratégie à l’international, de disposer d’un opérateur comme l’AFD, avec ses règles ? Est-ce que la politique et l’action internationale de la France ne devrait-elle pas être du seul ressort du Ministère des Affaires étrangères sous l’autorité du Président de la République ? On rétorque, il y a l’interministériel pour harmoniser les initiatives ministérielles. Mais par expérience l’interministériel fonctionne quand elle se déroule en présence et sous l’autorité du 1er Ministre et avec les Ministres. Il en est de même des délégués interministériels qui doivent être sous la seule responsabilité du 1er Ministre et ne rendre des comptes qu’à lui.

Il y aura des évolutions positives et efficaces si les critères de mises en œuvre évoluent et si les acteurs principaux que sont, l’Etat, les ONG et les collectivités coopèrent et mutualisent leurs interventions. La mutualisation et les mises en synergie doivent devenir le maître mot des coopérations. Il ne s’agit pas simplement d’octroyer plus de financements, il faut aussi mieux les utiliser. Les évaluations des impacts de la coopération devraient être systématisées. Le calibrage des frais des délégations (nombre de personnes, hébergement, restauration, etc) devrait être systématique, l’argent de la coopération devant être essentiellement tourné vers les projets. C’est être respectueux des contribuables français et des partenaires des actions de coopération. Il ne devrait pas y avoir une seule intervention de tel ou tel acteur de la coopération dans un pays sans un contact préalable et constant avec l’Ambassade de France qui sera chargée à la fois de faire le lien avec les autorités du pays – et leurs attentes- et de coordonner les différentes interventions. […]

Les Ambassades devraient encourager et faciliter les liens avec les différentes agences multilatérales, et les opérateurs des autres pays intervenants. Des réunions de coordination de tous les acteurs devraient se tenir en France, mais également dans le pays d’accueil et les territoires concernés par les coopérations, sous la responsabilité des autorités du pays ou du territoire. Un annuaire présentant l’ensemble des coopérations et des interventions par territoire dans chaque pays devrait être élaboré. Les groupes pays existants doivent être ouverts à tous les acteurs de la coopération et de la solidarité. L’UE devrait avoir une même démarche, vis-à-vis des pays et des agences des Nations Unies. Il devient donc nécessaire et indispensable au vu des enjeux et défis auxquels l’Humanité est confrontée, de mettre en œuvre une approche du développement multi-niveaux, multi-acteurs et multi-secteurs.

Tout indique qu’il est possible de développer des stratégies gagnantes du développement. Mais pour cela il est nécessaire en France de mettre, au plan national, régional et départemental, en synergie et dans des stratégies partagées l’ensemble des acteurs de la coopération et de la solidarité. Ces acteurs sont très nombreux au plan national et dans chaque département : l’État central, ses différentes administrations et opérateurs dont l’AFD, les collectivités territoriales avec les coopérations décentralisées et les jumelages, les établissements scolaires, de l’école à l’Université, les ONG et les associations dans tous les domaines de la vie des territoires, les associations de migrants, les associations de jeunes, les entreprises et les organisations professionnelles, etc. Il y a là un potentiel de centaines de milliers d’acteurs, voire plus qui agissent à l’international et dans le domaine de la coopération. C’est une force considérable et un appui pour la politique de coopération de la France, si ce potentiel se fédère. Ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Il est temps de créer les conditions d’une mutualisation des actions des différents acteurs dans les territoires de coopération. Il est important pour cela de sortir du cloisonnement existant entre les différentes instances nationales (ONG, collectivités, administrations, etc) et de développer une stratégie de coopération entre elles. Si l’on veut être efficace, il y a 3 niveaux à activer : le national, le régional et le départemental, seul à même de mobiliser tous les acteurs locaux. Pour ne prendre que mon département l’Allier, il y a dans celui-ci un très grand nombre d’acteurs en coopération. Les mobiliser ne se fera pas à l’échelle d’une région aussi grande qu’Auvergne-Rhône-Alpes, mais à l’échelle du département.

Il est temps que cesse enfin l’indifférence de l’Union européenne et des États, en premier lieu la France vis-à-vis de la corruption qui gangrène certains de ces pays, freinant leur développement. Si on faisait un bilan de l’Aide publique au développement consentie à certains pays depuis les Indépendances, on constaterait que des sommes colossales ont été déversées avec les résultats peu brillants que l’on connaît. Il y a donc urgence à lutter contre la corruption et les détournements de l’aide publique au développement.  Il est temps de réorienter une partie des financements de l’Appui au développement vers les territoires et les citoyens. Car là, on peut avec les habitants, contrôler l’utilisation des fonds. On peut développer une véritable stratégie participative efficace.

Il est temps également de favoriser dans tous les territoires et collectivités le développement de coopérations décentralisées et de jumelages associant tous les acteurs potentiels de la coopération. La coopération décentralisée par sa proximité peut permettre de faire avancer des solutions aux problèmes rencontrés par les territoires partenaires et leur population, ainsi qu’une prise de conscience chez nos propres concitoyens des moyens à mettre en œuvre pour avancer vers un monde plus solidaire et plus pacifique. Aucun territoire et aucune collectivité ne devraient être absents de cet effort de coopération et de solidarité.

Jean-Claude Mairal est adhérent et compagnon de route de l’Unadel de longue date.
Instituteur, philosophe, auteur, responsable politique engagé au parti communiste (ancien président du département de l’Allier et conseiller régional d’Auvergne), président du Conseil de Développement du Pays de Vichy,
co-président du Think-Tank international-laboratoire d’idées I-Dialogos

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