Les députés ont adopté le 23 juillet une nouvelle carte des régions pour la France ; la démarche engagée est encourageante et porteuse d’espoir, mais pas totalement cernable, néanmoins.Il est pourtant possible de concevoir une nouvelle carte des régions tenant compte de critères plus rationnels, et de la réalité des territoires.

Un article publié par Laurence Cormier Topal, Bernard Lensel et Eric Raimondeau,Urbanistes des Territoires, sur le site de la Gazette des communes.

Depuis des décennies on nous dit que les collectivités territoriales sont trop nombreuses (1), et qu’il est temps d’en réduire le millefeuille territorial français (2) pour faire face aux enjeux économiques et sociétaux actuels. Le Sénat doit étudier ce projet de loi courant octobre. Après le développement d’hypothèses successives nombreuses et parfois contradictoires, en termes de nouveaux territoires, où en sommes-nous ?

Regrouper à tout prix et depuis le « haut » est-il la solution ?

La communication sur le regroupement des régions en France présente cette démarche comme inéluctable ; elle s’inspire de notre tradition centralisatrice pré et post-jacobine ; 15 siècles d’Etat français ne s’effacent certes pas en un jour.

Des propositions de regroupement depuis le « haut » tendent à créer de nouveaux ensembles qui vont sans interruption depuis les frontières belge, allemande et suisse jusqu’à la Région parisienne ; ce qui crée des réactions chez les personnes concernées, surtout à proximité des frontières ; un redessin plus centralisateur est difficilement imaginable.

Cependant, un comparatif avec les autres Etats d’Europe occidentale, souvent beaucoup plus récents, offre des perspectives plus riches dans les options que l’on peut prendre.
Que ce soit l’Allemagne, fédérale s’il en est, l’Italie, république manifestement décentralisée, l’Espagne qui tend à maintenir un équilibre entre ses régions et le pouvoir central et enfin la Confédération Suisse, qui fait office d’exemple en matière d’oxymore, du très urbain au très rural, avec quatre langues nationales et des cultures différenciées, les exemples ne manquent pas à portée de la main.

Il nous semble qu’il ne faut pas s’enfermer dans un seul modèle qui représenterait une vérité absolue, mais plutôt s’inspirer de plusieurs expériences européennes, que nous avons à portée de la main et tenter de les panacher sans trop de rigidité. La réflexion actuelle sur les Régions françaises pourrait se trouver ainsi nettement dynamisée et enrichie.
Dans ce contexte, plutôt que de vouloir regrouper à tout prix et donc centraliser en France malgré le slogan de la décentralisation, il semble utile tout d’abord de revisiter sans précipitation les fondements, tant annoncés que réels, de la démarche. Les raisons annoncées pour regrouper les régions françaises sont de deux ordres : financier et électoral.

A la recherche de la juste échelle de gouvernance – Les raisons financières sont fièrement brandies et les raisons électorales sont plus rampantes, suggérées et sous-entendues par chaque « camp ». L’argument financier pèse, au moins officiellement, un peu plus que l’argument électoral ; surtout, il est plus pudique et peut se mettre davantage en avant : éviter les doublons, trouver une juste échelle de gouvernance, rationaliser les fonctionnements, tout cela est audible.

Dans certains cas, la démarche est nécessaire, pour avoir une vue d’ensemble : il s’agit là surtout du regroupement de compétences sur un même territoire, compétences des agglomérations ou des pays « loi Voynet » (3) et des conseils généraux, par exemple : il n’est alors pas question de changer d’échelle (ou seulement à la marge), mais seulement de géométrie des compétences.

Plus que le redécoupage des Régions, c’est le renforcement et la redéfinition des compétences qui paraît important, si l’on veut continuer à parler de décentralisation : est-ce que l’Etat transférera certaines de ses compétences aux régions pour leur permettre de répondre plus complètement aux enjeux d’aménagement de leur territoire ? La question est au centre de la démarche.

Des économies attendues mais illusoires – Cependant, l’argument financier est-il aussi justifié que c’est annoncé : certains hommes politiques en doutent, du fait notamment d’un élargissement territorial important qui peut avoir des effets induits sur l’éloignement et son coût réel, tant pour l’administration que, peut-être surtout, pour les administrés. On nous dit que le regroupement des régions permettra une réduction significative de la masse salariale. Pour mémoire, nous pouvons rappeler que la mise en œuvre des intercommunalités issues des lois Chevènement et SRU n’a pas apporté les économies attendues.
Dans le cas des régions regroupées, l’étendue des territoires nécessitera la mise en place de structures déconcentrées déployées dans les différentes composantes géographiques pour assurer un minimum de proximité avec les citoyens.
Les économies ne seront donc pas systématiquement au rendez-vous.

La nécessité d’une analyse multicritères en amont

Une réflexion sur un remaniement des Régions françaises devrait éviter le syndrome de 1974 avec un découpage trop lié à la politique politicienne dans certains cas et pouvoir obtenir des dispositions applicables durablement.
Pour cela, il est nécessaire d’élargir les analyses en amont et d’établir une grille multicritère aussi complète que possible.

Les données qui tiennent à l’histoire, la géographie, la culture et l’économie sont à prendre évidemment en compte ; les réseaux inter-villes et les flux de mobilité sont également des critères importants.

A ce titre, la réflexion et les cartes proposées par Jean-Laurent Cassely proposent de s’appuyer sur « les flux de personnes, les flux intellectuels, les flux économiques et financiers », ce qui paraît déjà relativement plus logique que les raisons initialement et trop rapidement évoquées.
Cette démarche s’appuie sur l’étude menée en 2012 par une équipe de géographes de l’UMR 8504 de Paris 1 Sorbonne et se fonde sur une relation dynamique entre les villes, insuffisamment intégrée dans les raisonnements trop simplificateurs qui ont cours actuellement.
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Etudier méthodiquement toutes les hypothèses

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de cette analyse et de ces cartes et de multiples hypothèses peuvent encore être formulées.

L’hypothèse de 13 à 14 régions, développée par le gouvernement et le parlement entre avril et juillet 2014, se révèle construite à la hâte et sur des bases trop étroites, comme nous l’avons vu plus haut : la finance et la politique électoraliste à court terme. Le critère d’urgence qui est mis en avant en atteste à lui seul.

Elle a donné lieu à plusieurs hypothèses successives, notamment une solution à 14 Régions développée par le Président de la République, en attendant le nouvel examen par le Sénat. Sa commission spéciale envisage, elle, une France à 15 régions.

carte-hollande-regionscarte-senat15 régions, c’était aussi l’hypothèse du comité Balladur, qui semblait plus élaborée et plus équilibrée. Elle s’est heurtée à des luttes de pouvoirs politiques, ce qui n’empêche pas d’y puiser objectivement quelques enseignements : les regroupements de certains départements à d’autres régions que celles d’origine sont notamment instructifs dans la composition des nouveaux territoires.

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La composition de régions centrales comme Auvergne-Limousin et Val de Loire-Centre peut répondre à la recherche d’équilibres locaux et de territoires non systématiquement liés aux très grandes métropoles.

L’oubli des régions frontalières – En revanche, si l’on croise cette carte avec celle, très éclairante, des systèmes urbains de proximité, élaborée par les chercheurs de Paris 1 Sorbonne, l’on se rend compte que la logique de fonctionnement des régions frontalières, très en contact avec le pays voisin, n’est pas du tout intégrée ; ainsi, les réseaux de villes du Nord-Pas de Calais et de l’Alsace (4) justifient manifestement de laisser ces deux régions jouer à plein leur rôle de marches, de régions frontalières, sans les fusionner dans des ensembles qui les dilueraient et rendraient ce rôle inopérant.
On pourrait presque dire la même chose de la Savoie, qui fait cependant déjà partie d’un ensemble plus vaste, la Région Rhône-Alpes …Un jeu d’hypothèses plus étayées, prenant vraiment en compte une grille largement multicritères, nous mènerait à un ensemble compris entre 15 et 18 régions.

Les conditions d’un vécu ultérieur viable entre régions, pays et métropoles

L’assurance des conditions d’un vécu ultérieur viable n’est pas automatique, loin de là et elle est particulièrement hasardeuse si elle est uniquement dictée par l’Etat central. D’abord parce que de nombreuses données locales peuvent lui échapper, ensuite parce que la motivation ne sera pas la même si l’organisation est imposée en finale.

Un vécu viable passe notamment par une désignation légitimée et reconnue d’une ville capitale ou d’une ville métropole, ce qui va poser des problèmes dans plusieurs régions recomposées à l’image de Rennes et Nantes dans l’hypothèse d’une Bretagne historique regroupée.
Les politiques des régions et des métropoles doivent pouvoir s’articuler par la mise en cohérence de leurs stratégies territoriales respectives. Et ceci avec des effets d’échelles gérables et en évitant les antagonismes entre les agglomérations.

La dimension démocratique et l’avis de la base

La dimension démocratique de cette réforme territoriale n’a pas été flagrante pour les regroupements récents d’intercommunalités, avec des fusions manifestement imposées, des études de faisabilité à peine esquissées lors de la prise de décision et la perte importante de pouvoir de pans entiers du territoire français (5). Retrouvera-t-on les mêmes dérives pour le nouveau découpage des Régions ?

Il s’agit là d’un phénomène français, lié comme nous l’avons vu à l’ancienneté de nos institutions et à une relation entre l’Etat et le citoyen qui ne respecte de moins en moins ce dernier. Ce type de processus risque à la longue de créer un véritable éloignement entre les deux entités, éloignement qui pourrait manifestement se jouer perdant-perdant.

En conclusion, cette réflexion sur un nouveau découpage peut apporter un certain dynamisme au pays, pour peu qu’il adapte sa gouvernance de façon plus équilibrée. Mais il ne faudrait pas qu’il supprime tous les repères pour les citoyens : une brusque suppression des conseils généraux, un trop grand élargissement des Régions seraient en effet de nature à détourner un peu plus les citoyens de la vie politique, ce qui n’est pas sain.
De plus, l’expectative dans laquelle nous nous trouvons pourrait ouvrir une vraie boîte de Pandore avec un nombre d’hypothèses formulées trop important et peu fondées, ainsi qu’une mise en panne des instances actuelles, qui se cantonneraient dans une attitude purement attentiste.

La réforme territoriale telle qu’elle a été votée par l’assemblé nationale le 23 juillet 2014 est manifestement inaboutie : il n’y aura de vraies Régions françaises qu’avec des compétences renforcées et déléguées par l’Etat pour accorder une plus large autonomie aux Régions pour leur permettre une forte capacité de décision.
Il nous faut donc avant tout sortir de l’organisation française jacobine hyper centralisée. L’Etat, pour être efficace, lisible et financièrement viable, ne doit être garant que des pouvoirs régaliens.

Cette nouvelle organisation territoriale devrait atténuer le millefeuille français et permettre une meilleure comparabilité avec nos voisins. Il ne faut pas nier le rôle prépondérant de la commune dans la relation de proximité avec les habitants. Cependant l’avenir de l’aménagement du territoire français devrait s’articuler autour d’un tryptique : Pays « loi Voynet », Intercommunalités et Métropoles/Régions/Europe.

Il semble également souhaitable de rationnaliser le nombre des communes et leur compétence au profit des intercommunalités.

Transférer les compétences est une chose. Celle des moyens budgétaires en est une autre. La baisse des dotations de 11 milliards ne facilitera pas les choses (6). Mais le défi qui nous est présenté dépasse ce seul critère financier pour aborder un véritable virage sociétal s’il veut vraiment être accepté de tous et servir, sans lourdeur inutile, l’avenir de notre pays.

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