Loi d’Orientation des Mobilités (LOM)– Episode 1 : un rendez-vous manqué pour la transition écologique et le développement local ? 

Contribution de Stéphane Loukianoff – adhérent de l’Unadel

Alors qu’un couvre-feu national est en vigueur depuis des mois, alors que nos déplacements journaliers sont désormais contenus dans un rayon de 10 km autour de notre domicile, qui devinerait que l’application d’une loi importante sur les mobilités est actuellement en débat dans les ¾ de notre pays ? Combien de nos concitoyens qui habitent en milieu rural savent aujourd’hui qu’un enjeu essentiel de leur quotidien est actuellement discuté dans leur territoire ?

La Loi d’Orientation des Mobilités du 24 décembre 2019 (LOM) a en effet donné aux communautés de communes jusqu’au 31 mars 2021 pour qu’elles se décident – ou non – à prendre la compétence « mobilités ». La LOM passe de la notion de « transport » à celle de « mobilité », en englobant les services de transport régulier de personnes, le transport scolaire, le transport à la demande, les mobilités actives, partagées et solidaires. Elle vise à couvrir l’ensemble du territoire national par une Autorité Organisatrice des Mobilités locales (AOML), et propose de donner au niveau local, intercommunal de préférence, la possibilité de décider de sa propre politique de mobilités, de ses services et de ses projets dans ce domaine.
 
Si une communauté de communes ne prend pas cette compétence, alors, la Région continuera à l’exercer. Si par contre, l’intercommunalité prend la compétence, elle pourra alors déterminer si elle veut la gérer en totalité ou bien déléguer tout ou partie de celle-ci à d’autres entités, par exemple à un syndicat des mobilités existant au niveau d’une aire urbaine à proximité ou encore transférer les transports scolaires à la Région et n’agir par elle-même que sur les mobilités dites « actives » (ex : vélo) et « partagées » (ex :co-voiturage).
 
Sortir du « tout voiture » : un enjeu grandissant dans les territoires ruraux
 
La LOM a le mérite de prendre en compte une véritable évolution sociétale. Car les territoires ruraux ont vu se développer ces dernières années une diversité d’initiatives publiques et/ou privées de mobilités qui témoignent de l’appétence grandissante de la société locale pour sortir du « tout voiture » et notamment de « l’auto-solisme ». Et ce n’est pas l’exode urbain à l’œuvre qui risque de remettre en cause cette tendance lourde.
 
Par exemple, dans le territoire où j’habite, le véhicule individuel, tient toujours une large place : pas moins de 6 300 véhicules pour 10 500 habitants. Ce sont près de 19,3 millions d’euros qui sont dépensés chaque année par les familles qui se déplacent dans le territoire, ce qui représente 34% des consommations énergétiques locales. Toutefois, l’offre de mobilité se développe progressivement ces dernières années. 
Par exemple, un réseau bénévole de petites annonces, qui fonctionne par SMS, diffuse aux habitants de nombreuses offres et demandes de covoiturage.
 L’intercommunalité a mis à disposition des habitants, un parc de 20 Vélos à Assistance Electrique (VAE), et ce service est plébiscité par la population. Dans ce territoire de montagne, de nombreux habitants utilisent ces VAE pour faire leurs courses ou aller au travail. Grâce à ce dispositif, ils se familiarisent durant quelques mois avec le vélo électrique et sont de plus en plus nombreux à en acheter un quelque temps après.
 Et pour faciliter les déplacements des personnes pour qui l’usage d’un véhicule personnel est hors de prix, l’intercommunalité mobilise désormais une partie des VAE pour les personnes privées d’emploi.
L’autopartage s’est également développé avec la mise en place de deux véhicules CITIZ à l’initiative d’un groupe d’habitants. De plus, après de longues années de mobilisations citoyennes, la ligne de chemin de fer qui traverse notre territoire a été enfin sauvegardée et des projets de développement de l’intermodalité au niveau des gares pourraient bientôt émerger. Bref, les projets foisonnent et sont bien loin de ne concerner que les services « lourds », tels que le transport scolaire et les lignes de bus régulières.
 
Ainsi, comme dans les aires urbaines, nombre d’habitants des territoires ruraux souhaite renoncer à la voiture comme seule modalité pratique de déplacement, eu égard à la part croissante qu’elle prend dans le budget familial. Ils attendent donc de leurs représentants locaux, nouvellement élus, qu’ils se saisissent de la LOM pour ne pas priver leur territoire de leviers d’actions de plus en plus diversifiés et qui relèvent d’enjeux tant environnementaux que socio-économiques.
 
Les communautés de communes prises dans « un effet ciseaux »
 
Toutefois, nombre de communautés de communes ne se sentent guère outillées pour gérer à elles seules les transports scolaires ou le transport à la demande sur leur propre ressort territorial. Si bien que, souvent, la prise de compétence inquiète fortement les élus locaux : comment le territoire pourrait-il financer ces nouveaux services alors qu’il cherche déjà à rééquilibrer un budget mis à mal ces dernières années par plusieurs transferts de compétences plus imposés que désirés et par la crise sanitaire et économique qui sévit ?
 
Certes, un transfert de compétence doit être accompagné de l’ensemble des moyens humains et financiers concernés, mais le montant de ces ressources financières transférées est généralement fixé l’année du transfert et n’évolue plus ensuite, contrairement aux dépenses qui tendent à s’accroître de façon quasi mécanique chaque année. De plus, si l’Etat « décentralise » les compétences et « territorialise » les politiques publiques afin de donner plus de moyens d’agir à l’échelon local, dans le même temps, il réduit très violemment les leviers de la fiscalité locale. Paradoxalement, le législateur donne donc de plus en plus de responsabilités à l’échelon local et prive en même temps ce dernier de sa capacité à financer des actions dans ces nouveaux champs de compétences ! Les communautés de communes sont donc prises dans « un effet ciseaux » qui les paralyse plus qu’il ne les pousse aux initiatives. Ce qui n’est pas sans poser de graves problèmes dans un contexte de nécessaire accélération de la transition écologique et de crise économique. Bien évidemment, les décideurs locaux en ont de plus en plus conscience.
 
Poussés par une certaine prudence gestionnaire, assez compréhensible dans ce contexte économique, de nombreuses intercommunalités se sont donc prononcées au cours du mois de mars contre cette prise de compétence et laisseront leur collectivité régionale la gérer pour leur territoire à l’avenir. Car, en dehors de quelques cas de figures bien précis, la loi considère bien cette décision comme « irréversible ».
 
Et la démocratie locale dans tout ça ?
 
Malgré la crise sanitaire et l’impossibilité technique d’organiser des réunions publiques en présentiel, le Gouvernement n’a pas jugé utile de reporter au-delà du 31 mars 2021 la date limite de décision des communautés de communes. Il a ainsi mis les délégués communautaires dans une fâcheuse posture vis-à-vis de leurs concitoyens. Certains pourraient considérer que les conseils communautaires qui ont décidé ces derniers jours de laisser cette compétence à la Région ont aussi privé leur territoire d’une concertation plus à la hauteur des enjeux…
 
D’autres communautés de communes ont néanmoins fait le choix inverse et ont voté pour la prise de compétence. Tout du moins, en apparence. Car, dans ce contexte, comment savoir si ce vote traduit une volonté de se saisir pleinement du levier « mobilités » ou bien s’il exprime plutôt la volonté de permettre dans un second temps aux conseils municipaux, aux habitants et aux associations de simplement avoir la possibilité d’en débattre ? Rappelons en effet que, pour qu’un transfert de compétences soit effectif à l’échelon intercommunal, il doit être validé par les communes, celles-ci ayant alors trois mois pour se prononcer. Mais le contexte sanitaire n’est guère plus favorable aux débats publics actuellement qu’au début de l’année : les nouveaux élus et les associations locales trouveront ils, dans les prochaines semaines, les énergies et les modalités pratiques adaptées à un tel enjeu ?


En tout état de cause, de nombreuses questions restent encore en suspens et seront sans doute abordées dans les futurs débats locaux. Mais il est clair que les conséquences des décisions qui seront prises dans les prochains mois sont potentiellement nombreuses pour l’échelon local  mais aussi pour l’échelon régional : elles pourraient bien marquer profondément les conditions d’exercice du mandat des élus locaux, mais aussi modifier parfois l’organisation territoriale (les relations ville-campagne) et permettre dans les territoires l’émergence de dynamiques nouvelles dans le champ de la transition écologique et du développement local. C’est pourquoi, nous reviendrons sur ces différents sujets dans quelques mois, dans un prochain article, « La LOM, épisode 2 ».

Stéphane Loukianoff – adhérent de l’Unadel

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